Politique

Or et drones : nouveau financement et nouvelles cartes de la menace terroriste au Sahel


De nouvelles stratégies sont adoptées par les groupes terroristes dans les pays du Sahel africain pour encercler cette région riche en ressources, notamment à travers le « barrage progressif des capitales », leur isolement de leur environnement vital et la coupure de leurs lignes d’approvisionnement.

Ces entités, mêlant actions armées, organisation économique et discours religieux, profitent de l’effritement des institutions étatiques, du vide sécuritaire et de la marginalisation sociale.

Selon des experts, la vague actuelle de terrorisme dans la région ne se résume plus à une simple escalade sécuritaire, mais marque une nouvelle phase de menaces, caractérisée par l’usage des technologies (drones), l’économie de l’or, et l’expansion des opérations au-delà des frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger, jusqu’aux confins du Bénin et du Sénégal.

Stratégie d’« étranglement des capitales »

Dans une série d’attaques en escalade, les groupes terroristes ont récemment ciblé des axes stratégiques dans les pays de l’Alliance des États du Sahel, depuis les abords de la capitale Bamako jusqu’à l’assaut coordonné contre Tombouctou, sans oublier la prise temporaire de la ville de Djibo au Burkina Faso, peuplée d’environ 300 000 habitants.

François Soudan, directeur de la rédaction du magazine Jeune Afrique, a analysé ce phénomène dans une interview à Radio France Internationale (RFI), expliquant que la stratégie actuelle vise à « étouffer les capitales à distance en les encerclant progressivement », à travers la pression sur les routes vitales et les attaques répétées sur les infrastructures.

Expansion rurale et pression inédite

Ce basculement se manifeste par des embuscades sur les axes routiers et des assauts contre des installations sensibles, instaurant une forme de pression sans précédent. Bien que les groupes jihadistes aient une capacité limitée à contrôler les grandes villes, leur présence en zones rurales devient « étendue et dynamique », selon Soudan.

L’intégration des drones dans les opérations de terrain représente l’un des aspects les plus marquants de cette évolution, ces appareils étant désormais utilisés par les groupes armés mais aussi par les armées nationales du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Zakat et or au lieu des rançons

Avec le recul des capacités de ces groupes à enlever des étrangers — en raison des pressions militaires et du renseignement —, ils se tournent vers des moyens de financement alternatifs. Soudan explique que la zakat est devenue un impôt imposé aux populations locales, sous forme monétaire ou en bétail et récoltes, générant ainsi une économie parallèle qui finance les opérations armées.

L’exploitation artisanale de l’or, notamment dans la zone dite des « trois frontières » entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, constitue une autre source essentielle de revenus pour ces groupes, qui contrôlent des mines traditionnelles et imposent des taxes aux mineurs.

Expansion au-delà du Sahel

Soudan alerte que les opérations terroristes ne se limitent plus aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), mais s’étendent désormais au Bénin et au Togo, avec des tentatives d’infiltration vers le Sénégal et la Mauritanie via des prédicateurs salafistes présents dans les communautés marginalisées — une situation documentée récemment par l’Institut Timbuktu.

Le professeur Souleymane Boukary Diallo, spécialiste des conflits au Sahel et enseignant à l’Université de Niamey, déclare : « Ce qui se passe au Sahel n’est pas seulement une menace sécuritaire, c’est aussi le reflet de l’échec des États à redistribuer les richesses et à reconnaître les identités locales. L’expansion des groupes terroristes est une conséquence directe de l’érosion de la confiance entre les citoyens et les institutions militaires. »

Selon lui, la concentration des attaques autour des capitales revêt une signification politique : elle vise à saper la légitimité du pouvoir central et à ébranler la confiance dans l’État.

Nouvelle phase d’organisation et d’influence

Dans la même lignée, la chercheuse Aïssata Demba, spécialiste de l’extrémisme en Afrique de l’Ouest et affiliée au Centre d’Études Africaines à Paris, déclare : « Le recours à la zakat et aux drones marque une nouvelle phase. Ces groupes ne sont plus de simples combattants cachés dans la brousse ; ce sont désormais des acteurs capables d’organiser une économie parallèle et de diffuser un discours religieux structuré dans des zones historiquement marginalisées. »

Demba met en garde contre la porosité entre le discours salafiste et les besoins sociaux, qui rend les communautés vulnérables plus faciles à infiltrer, notamment dans le sud de la Mauritanie et le nord du Bénin, où précarité économique et absence de services se conjuguent.

Elle conclut que le terrorisme au Sahel s’étend géographiquement tout en évoluant sur les plans technologique et stratégique, avec des outils financiers et religieux non conventionnels. Le danger que représentent les États fragiles d’Afrique de l’Ouest en tant que nouvelles bases pour les groupes extrémistes s’aggrave avec la persistance de la marginalisation sociale, qui reste un puissant levier de recrutement et de radicalisation.

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