Le monde bascule vers l’abîme climatique
Ce que les scientifiques craignaient depuis plusieurs années est en train de se produire. L’activité humaine a déjà suffisamment perturbé le climat mondial pour déclencher des « points de basculement » qui risquent de provoquer des impacts irréversibles et catastrophiques, conclut une nouvelle étude publiée dans la très respectée revue Science.
En raison de notre dépendance aux combustibles fossiles, la température moyenne de la Terre a déjà augmenté de 1,2 °C en moyenne depuis l’ère préindustrielle. Cependant, ce réchauffement est suffisant pour nous conduire rapidement à cinq points dits de « basculement », c’est-à-dire des seuils critiques au-delà desquels les phénomènes deviennent irréversibles.
L’étude de Science, basée sur plus de 200 publications scientifiques, note ainsi que le dégel brutal et inévitable du pergélisol des régions du nord est sur le point de commencer, en supposant qu’il ne soit pas déjà en cours. Cependant, ce pergélisol contient une véritable « bombe climatique », de l’avis des scientifiques. Compte tenu du méthane et du CO2 qu’il contient, il contiendrait l’équivalent de 1700 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES), soit deux fois la quantité de GES déjà présente dans l’atmosphère terrestre.
Les scientifiques qui dressent le profil des points de basculement pointent également vers l’effondrement de la calotte glaciaire du Groenland. Dans une étude publiée en août dans Nature Climate Changeglaciologists avait également constaté que le réchauffement actuel était déjà suffisant pour faire fondre suffisamment de glace pour provoquer une augmentation de 27,4 centimètres du niveau des océans de la planète.
Disparition des coraux
L’étude publiée jeudi ajoute que la fonte d’une partie de la calotte glaciaire de l’Antarctique a également commencé, mais aussi que le réchauffement des eaux des océans perturbe déjà les courants de l’Atlantique, y compris le Gulf Stream, qui influencent en particulier le climat de l’Europe.
Quant aux récifs coralliens d’eau chaude, leur disparition annoncée a déjà commencé. Selon les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), au moins 90 % de ces récifs seront rayés de la carte avec un réchauffement de 1,5 °C, un seuil qui pourrait être atteint dès 2030.
Mais ce n’est pas tout, puisque le seuil de 1,5 °C risque d’activer pas moins de quatre autres points de bascule, préviennent les auteurs de l’étude publiée dans Science. Parmi celles-ci, il y a une fonte permanente des glaciers de montagne, une perturbation majeure des courants océaniques dans l’Atlantique, mais aussi des perturbations des cycles de pluie en Afrique de l’Ouest, en Inde et en Amazonie. À long terme, la plus grande forêt tropicale de la planète pourrait même se transformer en savane.
Toutefois, le climat de la planète n’est pas en voie de se stabiliser à une augmentation de 1,5 °C, l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris. En supposant que tous les États respectent leurs engagements climatiques actuels, qui sont pris sur une base volontaire, le réchauffement devrait atteindre 2,7°C.
En plus de la hausse du niveau des mers qui frapperait des centaines de millions de personnes à travers la planète, un tel scénario causerait la mort de la forêt amazonienne, l’« effondrement » du pergélisol et une fonte accélérée de l’Antarctique. , avertit l’étude de la Science.
« Pour moi, cela va changer la face du monde, littéralement, si on regarde de l’espace », avec la montée du niveau des océans ou la destruction des forêts, a expliqué à l’Agence France-Presse Tim Lenton, l’un des principaux auteurs de l’étude. Les sécheresses mortelles et les inondations qui ont frappé différentes parties du monde cette année deviendraient également la norme.
Changement radical
Les impacts en cascade sont déjà de plus en plus difficiles à gérer, souligne le GIEC, soulignant que des millions de personnes vivant en Afrique, en Asie, en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans les pays insulaires sont désormais directement exposées à l’insécurité alimentaire et au manque d’accès à l’eau potable. Au niveau mondial, « 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique ».
Dans ce contexte de réchauffement continu du climat mondial, « tout retard dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et dans l’adaptation aux impacts du réchauffement nous fera manquer la brève fenêtre d’opportunité qui nous permettra d’assurer un avenir viable. pour nous tous et qui se referme rapidement », selon le GIEC.
Pour éviter le pire, l’organisation a averti plus tôt cette année que les émissions mondiales de GES doivent culminer d’ici 2025, avant de diminuer d’au moins 43% d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2019. Toutefois, les engagements actuels nous conduisent à une croissance d’au moins 14 % des émissions d’ici la fin de la décennie.
Le dernier rapport du GIEC, qui constitue la base scientifique des négociations mondiales sur le climat dans la perspective de la prochaine conférence des Nations Unies (COP27), a souligné en particulier la nécessité de mettre en oeuvre des « transformations majeures » dans le secteur de l’énergie, y compris une réduction drastique de l’utilisation des combustibles fossiles.
Le GIEC a également noté la nécessité de « changer notre mode de vie ». Cela passe par une diminution des besoins en transports motorisés (y compris aériens), mais aussi par le développement des villes, qui doivent impérativement permettre de « réduire la consommation d’énergie » et de ressources.