Washington face aux Frères musulmans : pourquoi Trump a-t-il choisi de cibler les branches plutôt que la direction ?
Le récent décret exécutif signé par le président américain Donald Trump marque un tournant notable dans l’approche de Washington à l’égard du mouvement des Frères musulmans. Selon ses partisans, il constitue un outil plus précis pour réduire l’influence du mouvement au Moyen-Orient.
Toutefois, les défenseurs de cette approche estiment que cette mesure, malgré son importance, demeure incomplète tant qu’elle n’est pas accompagnée d’actions plus larges visant les réseaux de soutien financier et organisationnel qui permettent au groupe de perdurer et de s’adapter.
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Un rapport du magazine The National Interest indique que les cercles politiques américains ont été engagés pendant des années dans un débat prolongé sur la manière de traiter les Frères musulmans : fallait-il classer l’ensemble du mouvement comme organisation terroriste ou le considérer comme une structure fragmentée aux multiples visages ?
Donald Trump a mis fin à ce débat de facto en adoptant une approche sélective qui cible les branches répondant clairement aux critères de « terrorisme » définis par la législation américaine, plutôt que de traiter le groupe comme une entité homogène.
Dans l’opinion publique, les Frères musulmans apparaissent souvent comme une organisation opaque ou une idée abstraite. En réalité, il s’agit d’un vaste réseau de branches locales partageant une référence idéologique commune, mais présentant de profondes divergences dans leurs comportements et leurs pratiques.
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Certaines de ces branches opèrent dans des cadres politiques officiels en tant que partis reconnus, d’autres ont opté pour la lutte armée, tandis que certaines se sont limitées à des activités caritatives et sociales, créant ainsi un spectre très large difficile à résumer en une seule définition.
Cette diversité structurelle, conjuguée à l’évolution constante de la nature des différentes branches, a constitué l’un des principaux obstacles à toute tentative américaine de classer l’ensemble du groupe comme organisation terroriste. Les Frères musulmans ne disposent ni d’un siège central unifié, ni d’une direction mondiale dotée d’un pouvoir exécutif, ni d’une structure organisationnelle prouvant un contrôle direct sur toutes les branches présentes dans plusieurs pays.
Bien que le mouvement, depuis sa fondation en 1928 par Hassan al-Banna, ait bénéficié d’une structure centrale claire dirigée par le « Guide suprême » et entretenu des liens étroits avec ses branches régionales, cette architecture s’est progressivement érodée avec le temps.
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Avec la complexification des contextes politiques locaux, les branches nationales se sont transformées en entités quasi autonomes, conservant l’héritage idéologique général tout en agissant selon leurs propres priorités et contraintes.
Dans ce contexte, Washington semble avoir adopté une lecture plus réaliste de la situation, choisissant une approche qui ne considère plus les Frères musulmans comme un label unique, mais qui se concentre, conformément au décret exécutif, sur les branches les plus impliquées dans la violence.
Cette méthode offre aux décideurs un cadre plus clair pour classer les groupes au cas par cas et mener une campagne durable visant à affaiblir les capacités des branches désignées et à paralyser leurs opérations.
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Le décret exécutif cite trois branches comme cibles potentielles de désignation : la Jamaa islamiya au Liban, le groupe des Frères musulmans en Égypte et celle en Jordanie.
La décision repose sur des accusations spécifiques, notamment l’aide apportée par la Jamaa islamiya libanaise à son aile militaire dans la conduite d’attaques à la roquette contre Israël, l’incitation de la branche égyptienne à des actes de violence contre des partenaires de Washington, ainsi que le soutien matériel fourni par la branche jordanienne à l’aile militaire du Hamas.
La Jamaa islamiya au Liban s’est particulièrement distinguée après l’attaque du 7 octobre 2023 contre Israël, en revendiquant une série d’opérations lancées depuis le sud du Liban.
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Ses dirigeants n’ont pas dissimulé leur proximité avec le Hamas, tant dans leurs déclarations publiques que dans leur description de cette relation comme le prolongement d’une « longue histoire d’action jihadiste, politique et de prédication ».
Des analystes estiment que ce rapprochement s’est renforcé à la suite de changements internes au sein de la direction du mouvement, ayant permis l’ascension de courants plus étroitement alignés sur le Hamas, jusqu’à la mise en œuvre d’opérations conjointes et d’une coordination directe sur le terrain.
En Jordanie, les évaluations font état d’une trajectoire similaire. Le Hamas aurait, au fil des années, renforcé son influence au sein des Frères musulmans par un soutien financier et organisationnel, aboutissant à l’émergence d’une faction qui lui est loyale et qui domine les centres de décision du mouvement.
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Après les événements du 7 octobre 2023, cette proximité est apparue au grand jour à travers des slogans et des manifestations de soutien au Hamas, avant de prendre une dimension sécuritaire plus grave, avec l’implication d’individus liés au groupe dans des opérations armées et des tentatives de fabrication d’armes sur le territoire jordanien, selon les autorités.
Les partisans du décret exécutif estiment que sa force réside dans l’utilisation d’outils juridiques américains déjà existants en matière de lutte contre le terrorisme, plutôt que dans la création de nouveaux cadres légaux. Les lois actuelles permettent de sanctionner toute entité fournissant un « soutien matériel » à des organisations désignées, ce qui inclut les opérations conjointes, la facilitation d’attaques et les réseaux de financement et de collecte de fonds liés au Hamas.
Ces instruments permettent également de classer les branches concernées comme organisations terroristes étrangères et d’imposer des sanctions étendues à leurs dirigeants en les inscrivant sur les listes internationales de terrorisme, ouvrant ainsi la voie au gel de leurs avoirs et à la traque de leurs réseaux financiers.
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Néanmoins, cette approche souligne que le ciblage des seules branches ne suffit pas. Selon cette perspective, la réduction durable de l’influence des Frères musulmans nécessite d’aller plus loin en s’attaquant à l’infrastructure élargie sur laquelle le mouvement s’appuie : associations caritatives, organisations non gouvernementales, médias et institutions financières qui forment collectivement le réseau de soutien garantissant la continuité de ses activités.
Le magazine conclut que, selon leurs détracteurs, les Frères musulmans ne fonctionnent pas comme une organisation transitoire, mais cherchent à s’enraciner profondément dans les sociétés où ils opèrent, en bâtissant une présence de long terme difficile à démanteler. Dès lors, toute stratégie visant à contenir ou à neutraliser leur influence doit être globale, patiente et dotée d’outils intégrés, à la mesure de l’ampleur et de la complexité du réseau qu’ils ont tissé au fil des décennies.
