Une cour pénale au Sahel africain : nécessité ou rébellion ?

Une « cour pénale » au Sahel africain incarne un projet de justice au cœur d’une région troublée, soulevant des interrogations : constitue-t-elle une alternative ou s’inscrit-elle dans une démarche de rupture avec l’Occident ?
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Au cœur de cette zone instable du continent africain, en proie aux fluctuations politiques et aux flèches du terrorisme, un nouvel organe judiciaire a vu le jour : la « Cour pénale sahélienne des droits de l’homme ».
En attendant son entrée en fonction, des observateurs estiment que ce projet ne sort pas de nulle part. Il est né des conflits politiques, géographiques et de valeurs qui agitent les trois pays du Sahel – le Mali, le Niger et le Burkina Faso – qui mènent aujourd’hui une initiative conjointe, vue par certains comme une réponse nécessaire au vide laissé par le retrait occidental dans la lutte contre le terrorisme.
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D’autres y voient une forme de « rébellion » contre ce que les régimes militaires de ces trois pays qualifient de « tutelle occidentale » pesant sur leur souveraineté, leurs décisions, et même leurs systèmes judiciaires.
Récemment, les ministres de la Justice des trois États membres de l’Alliance des États du Sahel ont annoncé la création de cette cour pénale sahélienne des droits de l’homme, ainsi que d’une prison régionale hautement sécurisée, et d’outils visant à unifier les systèmes judiciaires des trois pays.
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Mais une question centrale demeure : ces ministères œuvrent-ils à répondre aux exigences des institutions internationales, ou cherchent-ils à établir des alternatives locales aux systèmes judiciaires internationaux ?
Les ministres de la Justice du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont insisté sur le respect des standards internationaux en matière de détention, et sur la nécessité d’un mécanisme de solidarité juridique assurant un minimum de défense, même en l’absence de ressources financières.
Ces déclarations ont été faites lors d’une réunion ministérielle tenue à Bamako les 29 et 30 mai derniers.
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En dehors de la tutelle ?
Lors de cette rencontre de haut niveau, l’annonce de la création d’institutions judiciaires transfrontalières a retenu l’attention, ces institutions ressemblant fortement à celles que certains discours politiques locaux qualifient d’outils d’hégémonie impérialiste.
Parmi elles, la « Cour pénale sahélienne des droits de l’homme » est perçue par beaucoup comme une alternative à la Cour pénale internationale.
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Des analystes considèrent que l’adoption d’un modèle similaire à celui de la CPI est une manière de répondre aux critiques étrangères, voire de s’approprier le discours sur les droits de l’homme, parfois perçu dans la région comme un instrument occidental de domination, voire de promotion de comportements jugés contraires aux valeurs locales.
Le politologue français Guillaume de Chatellan, de l’Institut français des relations internationales, estime que « la création de la Cour pénale sahélienne représente un tournant décisif dans la transition des pays du Sahel d’une dépendance juridique vers une véritable souveraineté judiciaire ».
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Il ajoute que « les juntes militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger cherchent, malgré les critiques occidentales, à reconstruire leurs structures souveraines en dehors des injonctions internationales ».
Il qualifie cette démarche de « défi légitime aux institutions judiciaires occidentales, qui ont toujours traité l’Afrique avec condescendance plutôt qu’en partenaire égal ».
De son côté, le politologue africain Dr Moussa Kaboré, spécialiste de la gouvernance et de la sécurité à l’Institut des études stratégiques de Ouagadougou, estime que « la future cour traduit une réelle volonté des leaders de la transition de reprendre le contrôle de la justice et de libérer le pouvoir judiciaire des pressions étrangères ».
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Selon lui, « les autorités militaires au Burkina Faso, au Mali et au Niger cherchent à établir un modèle souverain de justice reflétant les priorités des peuples et non les agendas des capitales occidentales ».
Il considère la mise en place de cette cour, ainsi que de la prison régionale et des outils communs de poursuite judiciaire, comme « une réponse pragmatique au terrorisme et au crime organisé par des moyens purement africains ».
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Conflit de juridictions ?
Bien qu’aucune condamnation explicite n’ait été formulée à l’égard du projet, certains juristes soulèvent la question de possibles conflits de compétence entre cette cour pénale sahélienne et les institutions judiciaires internationales existantes.
Les détails concernant le siège de la cour, son statut juridique et ses modalités de financement restent encore flous.
Le sommet de Bamako s’est caractérisé par de nombreuses déclarations d’intention, mais aussi par des annonces concrètes.
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La cour aura pour mission principale de juger les crimes les plus graves menaçant la confédération : actes terroristes, blanchiment d’argent, cybercriminalité, traite des êtres humains, et atteintes à la souveraineté des États.
Parmi les mesures concrètes annoncées : un registre régional des personnes recherchées ou condamnées, la mise en place de mécanismes de coordination judiciaire entre États membres, l’usage d’outils numériques pour suivre les individus jugés dangereux, et l’organisation de formations unifiées pour les juges et personnels pénitentiaires.
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Parallèlement à la cour, une prison régionale hautement sécurisée sera construite pour accueillir les individus jugés par la nouvelle institution.
Cette prison s’inscrit dans une architecture judiciaire unifiée qui représente une avancée significative dans la consolidation de la souveraineté des États sahéliens face aux défis sécuritaires et juridiques.
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Accélération de l’intégration judiciaire
Après avoir lancé un passeport commun, un drapeau, un hymne officiel et des projets médiatiques transfrontaliers, la Confédération des États du Sahel poursuit son intégration régionale à un rythme soutenu.
C’est désormais au tour du secteur judiciaire, avec un projet d’unification des lois pénales dans une région qui ne dispose pas encore d’un corpus juridique commun pleinement structuré.
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