Politique

L’Allemagne refuse de rapatrier les combattants de Daech : une justice différée en Syrie


Dans une position qui reflète une hésitation persistante face à l’un des dossiers les plus sensibles de l’après-Daech, le ministère allemand des Affaires étrangères a annoncé lundi qu’« il n’existe aucun plan » pour rapatrier les citoyens allemands détenus dans le nord-est de la Syrie, anciens combattants du groupe État islamique.

Cette déclaration intervient alors que les appels à assumer la responsabilité juridique et humanitaire de ces détenus se multiplient au sein même de l’Allemagne.

Malgré les appels de leurs familles, qui ont adressé une lettre ouverte au gouvernement, Berlin n’a manifesté aucune volonté de modifier sa position. Un porte-parole du ministère a déclaré que l’Allemagne « comprend les inquiétudes des familles, mais ne prévoit pas de rapatrier les hommes détenus », tout en précisant que des négociations sont en cours entre le gouvernement de transition syrien et l’administration kurde locale.

La lettre ouverte, transmise par l’ONG Al-Ta’ir Al-Akhdar (L’Oiseau Vert) au nom des familles des détenus, a employé un ton inhabituellement direct. Les signataires affirment que la responsabilité de la radicalisation de ces individus incombe à la société allemande elle-même, et non à l’État syrien, pointant un échec interne à encadrer les jeunes et à prévenir leur extrémisme.

Ils écrivent : « Nos fils, nos frères, nos petits-enfants ont été attirés par l’idéologie extrémiste au sein même de la société allemande. Cette responsabilité nous incombe à tous, pas à la Syrie. Il est temps d’assumer cette responsabilité. »

Les familles ont également alerté sur les conditions « catastrophiques » dans les prisons du nord-est syrien, évoquant des témoignages de torture, de chantage et de manque total de soins médicaux.

Les estimations font état d’environ 30 anciens combattants allemands encore détenus dans des prisons sous l’administration kurde en Syrie.

Les gouvernements européens adoptent des approches variées sur ce dossier. Si l’Allemagne a bien rapatrié des femmes et des enfants entre 2019 et 2022, elle refuse toujours de rapatrier les hommes, les considérant comme une menace sécuritaire potentielle.

Cette position soulève un débat juridique et éthique, puisque selon plusieurs ONG de défense des droits humains, laisser ces individus dans des zones échappant à toute juridiction allemande ou européenne constitue un renoncement au principe de l’État de droit.

Autoriser leur jugement par des entités non reconnues sur le plan international, ou devant un futur gouvernement syrien dont le système judiciaire reste flou, représenterait un risque majeur en matière de justice pénale.

Avec la chute du régime de Bachar al-Assad et la formation d’un gouvernement de transition en Syrie, de nouveaux scénarios se dessinent. Le ministère allemand indique que « des négociations sont actuellement en cours entre le gouvernement de transition à Damas et l’administration kurde locale », ce qui pourrait ouvrir la voie à des procès en Syrie même.

Cette éventualité préoccupe les familles, qui réclament des garanties de la part du gouvernement allemand concernant le traitement réservé à leurs proches, ainsi que le droit de visite du Croissant-Rouge ou de juristes internationaux pour s’assurer des conditions de détention.

Des observateurs estiment que Berlin cherche à éviter les retombées politiques et juridiques complexes d’un tel dossier, dans un contexte de crispation intérieure autour des questions d’identité, de terrorisme et d’intégration. Mais ignorer le dossier des combattants étrangers pourrait avoir des conséquences politiques et sécuritaires, notamment en cas de fuite vers d’autres zones de conflit ou d’exploitation par des acteurs hostiles comme levier de pression.

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