Victimes de la guerre soudanaise… des témoignages qui dénoncent les décisions et révèlent la désintégration de l’État
La guerre au Soudan dépasse aujourd’hui un simple conflit armé entre deux forces en lutte pour le pouvoir ; elle représente un processus de désintégration totale de l’État, du système politique et de la société. Au cœur de ce processus, les histoires des victimes constituent la preuve la plus claire de l’ampleur de l’effondrement et de la nature des décisions prises sur le terrain et dans les centres de commandement, dont l’impact direct se reflète dans la vie des civils : leurs maisons transformées en lignes de front, les écoles de leurs enfants en refuges abandonnés, et leurs rues en champs de bataille. Considérer les victimes comme de simples chiffres constitue une insulte avant d’être une réduction de la catastrophe, car chaque histoire porte des implications politiques et sécuritaires, identifie des responsabilités précises et documente ce que les parties en conflit ont tenté de nier ou d’esquiver.
L’expérience soudanaise montre clairement que les civils ont toujours été les plus exposés aux dommages. Des régions comme le Darfour, al-Jenina et Zalengi, ainsi que certains quartiers de Khartoum, n’étaient pas seulement des théâtres de combat, mais des terrains d’expérimentation pour les politiques de force et de contrôle. Les victimes de cette guerre ne sont donc pas de simples pertes collatérales, comme le prétendent certains discours militaires, mais des victimes de décisions directes. Les schémas de violence n’étaient pas aléatoires : ils suivaient les déplacements des forces et les stratégies tactiques de chaque camp. Chaque mouvement vers une zone était précédé d’ondes de violations – tueries, pillages, agressions et déplacements forcés – indiquant que la violence était un outil de guerre et non une conséquence fortuite.
La documentation citoyenne, souvent réalisée via téléphones portables, n’a pas été moins importante que celle des organisations de défense des droits humains et l’a parfois surpassée en transparence et en réalisme. Ces enregistrements ont permis de relier les décisions des commandants sur le terrain aux conséquences catastrophiques sur le terrain, notamment au Darfour où les opérations visaient des zones précises pour des motifs politiques plus que militaires. À Khartoum, la situation était encore plus complexe, la capitale représentant le centre du pouvoir et le symbole de l’État. Son effondrement a révélé la fragilité du système et montré au monde l’incapacité du gouvernement, de l’armée ou de tout acteur politique à protéger les civils.
Certains tentent de justifier ces violations par des « circonstances exceptionnelles de guerre », mais la responsabilité politique et militaire est indéniable. Les décisions concernant les attaques, les retraits ou le déploiement ont eu des impacts directs sur les civils. Les témoignages de médecins empêchés de transporter les blessés vers les hôpitaux, ou les enregistrements de massacres documentés par les habitants, montrent que les victimes faisaient partie d’une stratégie de conflit et non d’accidents.
Ces témoignages sont essentiels pour la période post-conflit. Le Soudan ne pourra pas construire un nouvel État sans reconnaître ce qui s’est passé et sans rendre aux victimes la place qui leur revient : non comme « coût de la guerre », mais comme détenteurs de droits. L’expérience d’autres pays montre que toute paix qui ne repose pas sur la justice et la responsabilité reproduira la violence. Les documents et témoignages collectés par activistes, journalistes et citoyens joueront un rôle central dans la justice transitionnelle et dans l’écriture de l’histoire de la guerre.
Pour l’instant, la communauté internationale reste hésitante, se contentant de manifester son inquiétude et d’appeler au cessez-le-feu, sans mesures concrètes pour protéger les civils. Ce retard a accru le nombre de victimes, car les belligérants ont compris qu’aucune responsabilité effective ne les attendait. Néanmoins, le volume des preuves accumulées rend impossible l’ignorance de ces crimes à l’avenir, que ce soit devant la Cour pénale internationale ou devant des mécanismes régionaux.
Dans ce contexte, les récits des victimes ne sont pas seulement un détail humanitaire, mais font partie intégrante du paysage politique : ils révèlent qui contrôle les décisions militaires, qui peut arrêter la violence et qui a choisi d’ignorer les cris des civils pour des gains politiques ou militaires. Ces récits redéfinissent la guerre, passant d’un conflit pour le pouvoir à une tragédie humaine aux profondes implications politiques, chaque témoignage pouvant constituer une preuve juridique, même sans jugement.
Le Soudan est à un tournant : sortir de la crise nécessitera la reconnaissance de la responsabilité directe des dirigeants et des systèmes ayant permis cet effondrement. Les victimes, à Darfour comme à Khartoum, ne sont pas de simples souvenirs, mais la base de toute réforme future, car un État se construit sur la vérité reconnue, non sur ses ruines. Les récits des victimes doivent devenir une mémoire nationale, fondement de nouvelles politiques centrées sur l’humain, afin d’éviter la répétition de la tragédie, quelles que soient les forces en conflit ou les équilibres de pouvoir.
