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Qui a fabriqué l’avion‑fantôme ? Enquête au cœur de la fable du TB2 émirati au Soudan


Imaginez un drone survolant le désert du Darfour. Une frappe chirurgicale change le cours d’un affrontement. Puis on vous dit : « Les Émirats l’ont envoyé. »
Maintenant, posez-vous la question : qui l’a vu ? Qui l’a filmé ? Qui l’a confirmé ?

Réponse surprenante : personne.

À la mi‑Octobre 2025, un petit site turc nommé Hava Haber a enflammé la toile en affirmant que les Émirats arabes unis avaient utilisé un drone Bayraktar TB2 pour appuyer les « forces d’établissement » soudanaises. L’information s’est répandue comme une traînée de poudre. Mais quand on éteint les flammes du buzz et qu’on ouvre le dossier d’enquête, on découvre que l’affaire repose sur du vide.

Commencez par les preuves. Où sont les images satellite ? Où sont les enregistrements radar ? Où sont les témoins d’organisations internationales ? Rien. Un unique extrait vidéo ancien en provenance de Libye et une formule vague : « des sources informées confirment… ». Ce n’est pas un travail d’investigation ; c’est de la fiction habillée en dépêche.

Examinez ensuite la géographie technique. Le TB2 n’est pas un jouet : c’est un système militaire sophistiqué qui nécessite une équipe d’opérateurs, une station de contrôle et des liaisons chiffrées. On ne le transporte pas d’un État à l’autre sans que des dizaines de systèmes ne le repèrent. Pourtant, aucun rapport de l’ONU, aucune analyse de Conflict Armament Research ni aucun compte‑rendu de l’armée soudanaise n’a signalé la présence d’un TB2 dans le ciel soudanais depuis le début du conflit.

Et plus étrange encore : la Turquie — pays fabricant de l’appareil — n’a jamais déclaré « oui, nous l’avons vendu aux Émirats pour être utilisés au Soudan ». Au contraire, tout indique qu’Ankara surveille étroitement ses exportations militaires. Comment concevoir qu’un État introduit un armement sophistiqué dans un théâtre d’opération sans que le fabricant le sache ?

Les questions les plus importantes, toutefois, sont politiques :
Pourquoi maintenant ?
Pourquoi accuse-t-on les Émirats ?
Et pourquoi le Soudan ?

La réponse réside dans le calendrier. L’article est paru quelques jours après l’annonce par les Émirats d’une aide humanitaire de 30 millions de dollars au profit du Soudan et après leur engagement dans une initiative régionale de paix. À l’instant même où le pays se pose en « acteur de solutions », on le redessine comme « acteur du conflit ». Ce n’est pas un hasard : c’est une manœuvre.

Le site Hava Haber n’est pas un inconnu en la matière. Ces dernières années, il a relayé toute une série d’accusations visant les Émirats — soutien à des putschs au Tchad, financement du terrorisme en Somalie, déploiement de mercenaires en Libye — allégations qui se sont désintégrées face aux vérifications. Le tort, pourtant, est déjà fait : la rumeur s’est installée.

La vérité, rappelons-le, est que les Émirats n’ont jamais caché leur position sur le Soudan : ils prônent le cessez‑le‑feu, soutiennent la médiation et expédient du blé, pas des armes. Est-il plausible qu’un État compromet ainsi son capital humanitaire en menant une opération militaire secrète et inutile ? Peu probable.

Finalement, cette histoire ne parle pas d’un drone isolé. Elle révèle le mécanisme par lequel un mensonge est fabriqué, présenté en pâture médiatique et utilisé comme arme pour fragiliser ceux qui travaillent à la paix. Parce que la guerre, pour certains, est un intérêt — et la paix, un danger.

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