Grand Maghreb

Les Frères musulmans tunisiens et la prise de contrôle de Tribune : une nouvelle boussole pour une organisation en crise


Alors que le dernier chapitre des Frères musulmans en Tunisie se referme sous le poids des procès judiciaires et du désaveu populaire, le mouvement cherche à se repositionner à l’extérieur du pays, en quête d’un nouveau relais médiatique capable de porter sa vision et de redéfinir l’orientation idéologique de son projet.

Privé de ses canaux traditionnels, le mouvement revient à la stratégie de la « pénétration douce », cette fois en s’implantant dans les médias de gauche britanniques. C’est dans ce contexte que l’homme d’affaires Mohamed Ali Harrath, proche des Frères musulmans et poursuivi pour des accusations de terrorisme, a acquis l’un des magazines socialistes les plus emblématiques du Royaume-Uni.

Que s’est-il passé ?

Mohamed Ali Harrath, président du groupe E-Media propriétaire de la chaîne Islam Channel, connue pour ses accointances avec les Frères musulmans, a racheté le magazine Tribune, ancienne tribune littéraire de George Orwell.

Historiquement, Tribune était l’un des organes majeurs du mouvement ouvrier britannique. Orwell y officiait en tant qu’éditeur littéraire, et le magazine a publié des figures notables comme H.G. Wells ou George Bernard Shaw, selon le Telegraph.

En 2023, le régulateur britannique Ofcom avait infligé une amende de 40 000 livres à Islam Channel pour la diffusion de contenus jugés antisémites et profondément offensants. La chaîne est aujourd’hui dirigée par le fils de Harrath, qui en est le PDG.

Mohamed Ali Harrath prendra désormais la présidence du conseil d’administration de Tribune, dont le député travailliste John Trickett est conseiller éditorial.

À propos de cette acquisition, Harrath a déclaré : « L’avenir de Tribune doit enthousiasmer tous ceux qui aspirent à un changement réel et à un avenir meilleur et plus radieux pour tous. »

Un virage idéologique à gauche ?

La chaîne Islam Channel a elle-même annoncé le rachat, affirmant que la nouvelle propriété poursuivrait « une fière tradition d’antifascisme, d’anti-impérialisme, et de plaidoyer pour la paix et l’égalité ».

Le magazine prévoit d’augmenter sa fréquence de publication et d’élargir l’ambition de sa mission éditoriale, selon une note publiée sur son site.

Ce rachat intervient alors qu’Ofcom avait précédemment sanctionné la chaîne pour avoir diffusé le documentaire Le plan Andinia, une théorie du complot affirmant que les Juifs projetaient d’établir un État en Amérique du Sud.

Le régulateur a jugé que ce contenu faisait la promotion d’une théorie du complot antisémite « incitant à la haine et la justifiant » à l’échelle mondiale.

La chaîne a également été visée par une plainte déposée par le Dr Taj Hargey, directeur de l’Institut de l’islam britannique d’Oxford, qui accuse la chaîne de présenter l’islam comme une religion assiégée par l’Occident, tout en légitimant des groupes tels que le Hamas et l’Iran comme des mouvements de résistance contre les démocraties occidentales.

Ofcom a déclaré évaluer les plaintes mais n’a pas encore décidé si une enquête serait ouverte.

Dans un communiqué publié en avril, Islam Channel a rejeté les accusations et dénoncé « une campagne de diffamation médiatique de longue date ».

Qui est Mohamed Ali Harrath ?

  • 1995 : Arrivée au Royaume-Uni 
  • 2000 : Obtient le statut de réfugié politique après avoir fui la Tunisie 
  • 2004 : Fonde Islam Channel et en devient le PDG 
  • 2010 : Arrêté en Afrique du Sud sur la base d’un mandat d’Interpol pour terrorisme 

Harrath a fondé en 1986 le Front islamique tunisien, qu’il qualifiait de « parti politique non-violent » visant à s’opposer au régime du parti unique en Tunisie par des moyens pacifiques.

Il a été condamné par contumace à 56 ans de prison pour plusieurs crimes à caractère terroriste et politique, notamment l’appartenance à un parti illégal, la distribution de tracts et l’organisation de réunions interdites.

En 1988, il prend la tête du Front islamique tunisien, classé par le Département d’État américain comme une « organisation terroriste mondiale ».

Ce mouvement s’inspirait largement des idées des Frères musulmans égyptiens de Hassan al-Banna. Il était dirigé par le cheikh Khatib El Idrissi, originaire de Sidi Bouzid.

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