Les financements étrangers sous la loupe : Kaïs Saïed ouvre le dossier de l’UGTT
 
						La présidence tunisienne avance à grands pas vers la consolidation du principe d’une « reddition des comptes sans exceptions », plaçant désormais l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) au centre de l’attention, après des années durant lesquelles elle avait été considérée comme une « ligne rouge » en raison de son poids historique et syndical.
Alors que les enquêtes s’élargissent sur les financements étrangers suspects ayant touché plusieurs associations, les observateurs s’attendent à ce que la plus grande organisation syndicale du pays soit la prochaine cible d’un examen approfondi visant à instaurer davantage de transparence et de discipline.
Mardi soir, le président tunisien Kaïs Saïed a déclaré qu’« il est nécessaire que tous les services publics soient au service des citoyens et des citoyennes, et que quiconque s’emploie à les maltraiter ne puisse rester impuni. Ceux qui ont corrompu et détruit ne resteront pas hors de portée de la justice. L’argent du peuple tunisien doit lui être restitué intégralement, jusqu’au dernier millime, car il s’agit d’un droit légitime ».
En réaction, l’Union générale tunisienne du travail a publié un communiqué mercredi, affirmant qu’elle « n’est pas au-dessus de la loi et ne se soustrait pas à la reddition des comptes en cas de faute », tout en rejetant « catégoriquement toute accusation non fondée ou sans preuve concrète ».
Lundi dernier, les autorités tunisiennes ont annoncé la suspension d’activités de plusieurs associations pour une durée d’un mois, dans le cadre d’enquêtes en cours sur des financements étrangers suspects.
Parmi les associations concernées figurent l’Association des Femmes Démocrates, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, l’Association Manamti et l’Association Solidarité.
La semaine précédente, le parquet avait ouvert une enquête visant des dizaines d’associations et d’organisations soupçonnées d’avoir reçu des fonds étrangers illicites.
Le ministère public avait reçu des rapports de la Commission d’analyse financière de la Banque centrale et de la Cour des comptes, signalant des transferts financiers importants au profit de certaines associations.
Ces mesures s’inscrivent dans une campagne croissante visant à réorganiser le secteur associatif et à vérifier la transparence de ses sources de financement.
Selon plusieurs analystes, les autorités tunisiennes souhaitent désormais inclure l’UGTT dans ce processus de reddition des comptes, afin d’examiner ses sources de financement et de recentrer ses activités sur son rôle syndical, à l’écart de toute implication politique.
Le politologue tunisien Abdelkrim Mahmoudi a indiqué que « le gouvernement a entamé un audit financier de l’Union et a rouvert des dossiers de corruption impliquant certains dirigeants, dans le but d’engager des poursuites légales ».
Il a ajouté que le président Kaïs Saïed considère l’UGTT comme une « extension de l’État profond » qu’il s’efforce de démanteler, rappelant les propos du chef de l’État sur la « corruption qui mine l’Union » et la nécessité d’une justice égale pour tous.
Selon Mahmoudi, « les soupçons de financement étranger de certains dirigeants ont transformé l’UGTT en un outil au service d’intérêts extérieurs, érodant la confiance du peuple tunisien ».
Le président Saïed impute également à l’Union une part de la crise économique du pays, en raison de la multiplication des grèves — près de 30 000 au cours des dernières années — qui auraient pesé lourdement sur la stabilité économique nationale.
Le 7 octobre, lors d’une rencontre avec le gouverneur de la Banque centrale Fathi Zouhair Nouri, le président a dénoncé « d’importantes sommes d’argent envoyées depuis l’étranger sous le couvert de la nuit », évoquant leur utilisation dans « des activités illégales de contrebande et de blanchiment d’argent, bénéficiant à des
individus ou à des entités, bancaires ou non, sans contrôle ni supervision suffisante ».
Le 9 octobre, les forces de sécurité tunisiennes ont arrêté Lassâd Yacoubi, dirigeant syndical et ancien secrétaire général de la Fédération de l’enseignement secondaire, pour des accusations de spéculation et de monopole économique.
Ainsi, la Tunisie semble s’engager dans une phase de recomposition profonde de ses institutions et de ses acteurs civils, dans laquelle même les figures historiques du syndicalisme ne sont plus à l’abri d’un examen rigoureux au nom de la transparence et de la redevabilité publique.
 
				 
					









