Grand Maghreb

Le sang de Gheniwa étouffe Dbeibah… Le Néron de Tripoli brûle dans ses propres flammes


La mort de l’un des chefs de milice les plus puissants de Tripoli, Abdelghani al-Kikli — surnommé « Gheniwa » — aurait dû offrir à Abdelhamid Dbeibah les clés du contrôle total de la capitale libyenne.

Mais les calculs du chef du gouvernement d’union nationale (au mandat expiré) se sont très vite embrasés, au sens propre comme au figuré : des affrontements sanglants ont rapidement dépassé le stade des escarmouches habituelles, dégénérant en affrontement généralisé entre milices rivales, liées à des camps politiques concurrents.

La ville n’a toujours pas retrouvé son calme, malgré une apparente accalmie. L’assassinat d’Abdelghani al-Kikli, chef de l’« Appareil de soutien à la stabilité » relevant du Conseil présidentiel et créé en 2021, a provoqué une secousse profonde au cœur de l’équilibre déjà fragile du pays.

Pire encore : cet événement a déclenché une colère populaire croissante contre Dbeibah, se traduisant par des appels à la chute de son gouvernement, alors que l’effondrement des alliances entre milices menace de replonger la Libye dans le chaos.

Déclarations prudentes

Sur sa page officielle Facebook, Dbeibah a publié plusieurs communiqués où il s’est montré extrêmement prudent dans le choix des mots. Dans son premier communiqué, publié le jour même de la mort de Gheniwa, il a évité d’employer les termes « assassinat » ou « élimination », préférant des expressions telles que « ce qui s’est produit » ou « ce qui a été accompli ».

Il y qualifie l’incident de « pas décisif vers la fin des groupes armés illégaux », saluant les ministères de l’Intérieur et de la Défense pour « l’imposition de la sécurité et de l’autorité de l’État dans la capitale Tripoli ».

Dans une deuxième déclaration publiée jeudi, Dbeibah laisse entrevoir une forme d’aveu de responsabilité, bien que certains passages restent ambigus.

Il y affirme : « Le chemin vers la construction des institutions de l’État et la lutte contre le crime organisé accumulé depuis une décennie n’est pas facile. Ce que nous avons fait à Abou Salim était une étape nécessaire pour mettre fin à une présence qui a dépassé les limites de la loi et s’est rendue coupable de violations graves des droits humains. »

Il ajoute que « l’opération sécuritaire a été menée de manière ordonnée et silencieuse, sans affrontements », en référence à celle qui a conduit à la mort de Gheniwa.

Le « Néron de Tripoli »

Malgré les tentatives de justifier l’élimination de Gheniwa au nom de la lutte contre les milices et de l’affirmation de l’autorité de l’État, l’opération a eu l’effet inverse : une explosion de colère populaire et une détérioration de la situation sécuritaire.

Des manifestations ont éclaté dans plusieurs quartiers de Tripoli — notamment à Abou Salim, Souq al-Jouma et Ain Zara — réclamant la chute du gouvernement Dbeibah, après des combats violents.

Dbeibah à l’empereur romain Néron, qui incendia Rome, estimant qu’il a mis Tripoli à feu et à sang pour s’y retrouver lui-même piégé.

Le conseiller Miftah Al-Qailoushi, notable de l’Ouest libyen, affirme : « La capitale est sous occupation des Frères musulmans et de leurs milices armées. »

Selon lui, « Les Libyens n’en peuvent plus de cette réalité. Ils ont saisi la première occasion pour exprimer leur rejet d’un gouvernement qui n’est, à leurs yeux, qu’une façade ayant vidé le pays de ses ressources. »

Il ajoute que ce gouvernement a accentué la division nationale, et que les récents affrontements n’ont fait que raviver les tensions, alors même que le Parlement a retiré sa confiance à Dbeibah depuis plus de deux ans.

Al-Qailoushi souligne que les protestations reflètent une colère généralisée dans toute la société libyenne, d’autant que Tripoli abrite des habitants issus de toutes les villes et tribus. Il estime que les derniers affrontements ont fait plus de 200 morts, tandis que Dbeibah s’accroche au pouvoir « à tout prix ».

Il note aussi que les Frères musulmans ont perdu la main sur la majorité du pays, ne conservant que quelques poches de contrôle à Tripoli.

Contre ses anciens alliés

Pour sa part, le politicien libyen Ramadan Shleig estime que Dbeibah a commis une erreur stratégique en croyant pouvoir instrumentaliser les milices, puis s’en débarrasser.

Selon lui, « L’ouest libyen, en particulier Tripoli, ne dispose d’aucune institution militaire régulière. Le pouvoir y est exercé par des groupes armés aux loyautés tribales ou locales, apparus après la chute du régime en 2011. »

Il ajoute que « les gouvernements successifs, en particulier celui de Dbeibah, ont financé et légitimé ces groupes, pour se retrouver aujourd’hui en conflit direct avec eux, après des années de soutien. »

Il s’interroge : « Comment un gouvernement peut-il financer des milices pendant cinq ans, puis décider d’en éliminer certaines, en utilisant d’autres contre leurs anciens alliés ? » — qualifiant cela d’échec total de la gestion sécuritaire et politique.

Il souligne que le peuple libyen est en colère : « Alors que les bourses d’étude sont suspendues, que les soins à l’étranger sont interrompus et que les besoins élémentaires sont négligés, des millions sont versés à des groupes armés sans aucun rôle national réel. »

Des paris perdants

Le chercheur libyen en affaires stratégiques Mohamed Mtairid estime que Dbeibah pensait que l’élimination de Gheniwa lui assurerait la mainmise sur la capitale.

Il précise que Gheniwa contrôlait la commune de Bouslim — l’une des plus importantes de Tripoli — et jouissait d’une influence considérable.

L’assassinat a provoqué une onde de choc dans la rue libyenne, perçu comme une trahison d’un ancien allié. Cela a poussé nombre de personnes à se ranger derrière la milice Radaa (Dissuasion), malgré son propre passif, estimant que la menace représentée par Dbeibah était désormais plus grande.

Pour Mtairid, cette décision révèle un manque criant de sagesse et de vision stratégique. Dbeibah a tenté, selon lui, d’envoyer un message à la communauté internationale pour affirmer qu’il restait un acteur incontournable après cinq ans d’échec électoral.

Mais ce pari a échoué face à la volonté populaire, qui voit désormais en Dbeibah un « Néron libyen », prêt à brûler la capitale pour s’accrocher au pouvoir.

Les récentes confrontations ont fait des dizaines de morts et de blessés civils, en plus de dégâts importants sur les infrastructures et les biens privés, provoquant une vague de colère sans précédent contre son gouvernement.

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