Le Maroc agit fermement pour protéger sa souveraineté numérique
Des experts appellent à lancer des campagnes de sensibilisation pour la population et à ne pas se limiter au cadre juridique, avertissant que la sécurité numérique des institutions du pays est exposée. Le gouvernement marocain cherche à réguler l’espace numérique, en particulier les applications intelligentes et les plateformes de réseaux sociaux, à travers un projet de loi encadrant les « pratiques virtuelles », afin de suivre le rythme des transformations technologiques rapides et de trouver un équilibre entre la liberté d’expression et la protection des valeurs sociétales.
Selon des responsables, le projet de loi que le gouvernement souhaite soumettre au Parlement vise à protéger les valeurs collectives ainsi que les catégories vulnérables de la société, en particulier les mineurs. Des experts appellent toutefois à accompagner cet effort juridique par des campagnes de sensibilisation, avertissant que la sécurité numérique des institutions nationales pourrait être ciblée, d’autant que les capacités de cybersécurité restent limitées.
Le ministre marocain de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mehdi Bensaïd, avait annoncé l’intention du gouvernement de présenter et d’adopter un projet de loi global destiné à organiser le monde numérique, incluant les plateformes digitales et les réseaux sociaux. Lors d’une intervention au Parlement en novembre dernier, il a précisé que le texte vise à accompagner les mutations technologiques rapides et à trouver un équilibre entre liberté d’expression, préservation des valeurs sociales et protection des catégories vulnérables, notamment les mineurs.
Selon le ministre, cette initiative s’explique par les profondes transformations du paysage médiatique et communicationnel observées ces vingt dernières années, marquées par l’expansion massive des réseaux sociaux et des applications numériques, créant un espace ouvert mêlant opportunités d’expression et risques croissants menaçant les enfants et les jeunes. Il a rappelé que, malgré les aspects positifs de ces plateformes, elles sont devenues une source de phénomènes négatifs, tels que la violence verbale et visuelle, les dérives comportementales, les discours de haine et la propagation de fausses informations.
Pour Abdelhakim Ahmin, expert marocain en communication, cette initiative est positive mais intervient tardivement par rapport à l’expérience d’autres pays arabes et occidentaux, précisant que les États du Golfe et plusieurs pays étrangers ont déjà adopté un ensemble de lois permettant de mieux organiser le domaine numérique. Il appelle à tirer profit de ces expériences pour instaurer un cadre réglementaire adapté au contexte marocain et pour créer des instances dédiées à l’innovation et à la cybersécurité.
Selon lui, le Maroc dispose d’une occasion importante de s’inspirer des expériences européennes, canadiennes ou singapouriennes afin de bâtir une organisation juridique capable de répondre aux défis internes et externes du numérique. Il souligne que les grandes entreprises technologiques s’imposent fortement dans tous les pays, y compris arabes et européens. Il met également en garde contre les risques pesant sur la sécurité numérique des institutions marocaines, dans un contexte mondial marqué par la manipulation, la désinformation et la prolifération de comptes fictifs.
Il estime que les comptes fictifs créés pour tromper l’opinion publique deviennent de plus en plus influents, touchant les domaines éducatifs, sanitaires, économiques, et même les sphères de l’influence et du façonnement de l’opinion publique. Il ajoute que le Maroc ne peut élaborer ses lois sans respecter les principes des droits humains et les normes internationales, tout en prenant en compte son identité, sa culture et son ancrage arabe, islamique et africain.
En juin dernier, le ministère public marocain avait ouvert une enquête concernant une cyberattaque ayant visé le site du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. En avril, le pays avait été la cible d’une cyberattaque considérée par des experts comme la plus grave depuis des années, entraînant la fuite de milliers de documents confidentiels du ministère de l’Emploi et de la Caisse nationale de sécurité sociale, comprenant notamment des salaires, des comptes bancaires et des données médicales.
Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, avait accusé à l’époque des « entités hostiles au pays » d’être derrière cette attaque, la qualifiant d’« acte criminel ».
Selon Ahmin, la réussite du projet de loi dépend en grande partie du cadre juridique, qui doit définir les responsabilités de toutes les parties, notamment les opérateurs télécoms, les plateformes internationales, les institutions médiatiques, les journalistes et les usagers ordinaires. Le processus législatif, explique-t-il, doit inclure une coopération entre institutions officielles, secteur privé, centres de recherche, universitaires, juristes, sociologues, psychologues et même spécialistes religieux.
Il estime que le cadre juridique doit être accompagné d’un volet de sensibilisation destiné aux citoyens, en se tournant vers les écoles et les universités pour renforcer la compréhension des mécanismes numériques et des lois qui les régissent. Il insiste sur la nécessité de respecter les libertés individuelles, publiques et politiques dans toute démarche de régulation de l’espace numérique.
Il met en garde contre les risques touchant à la fois les utilisateurs et l’État, notamment la menace pesant sur la souveraineté numérique en raison de la domination des grandes entreprises technologiques. Il ajoute que le Maroc peut imposer des conditions aux plateformes opérant sur son territoire, mais souligne que les pays en développement connaissent davantage de difficultés que les pays européens, qui ont réussi à adopter des régulations strictes.
Il conclut que la forte domination des grandes entreprises, dont 80 % sont américaines et 10 % chinoises ou russes, pousse de nombreux pays à chercher à se doter d’outils permettant de surveiller et d’encadrer leurs activités, du fait de leur influence mondiale.
