Politique

Complexités sociales et administratives freinent l’intégration des Irakiens revenus du camp d’Al-Hol


Les principaux obstacles rencontrés par les retours du camp d’Al-Hol sont la difficulté à obtenir des papiers officiels, l’accès à l’emploi, et l’obligation de se dissocier de proches de premier degré soupçonnés de liens avec l’organisation djihadiste.

 Et Les Irakiens rapatriés depuis le camp d’Al-Hol, administré par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie et hébergeant des déplacés ainsi que des familles de suspects de l’État islamique, font face à d’importants défis lors de leur réintégration dans leur communauté d’origine.

Après de longues années passées dans le camp en Syrie, Farah Ibrahim Darwish s’est réjoui d’obtenir enfin l’autorisation de revenir en Irak. Pourtant, son retour n’a pas été sans peine.

Pour rentrer dans son village, les autorités locales lui ont exigé une lettre dans laquelle il renonce à deux de ses fils, emprisonnés pour leur soupçon de participation à l’État islamique, bien qu’il conteste ces accusations.

À 64 ans, il confie : « Tout ce que je désirais, c’était rentrer en Irak », mais ce retour lui a coûté cher : « J’ai dû renier deux de mes fils (…) et je n’ai ni maison, ni jardin. Je me retrouve sous le seuil de pauvreté et écrasé par l’injustice. »

Un correspondant de l’AFP, après avoir rencontré plus de 15 personnes – rapatriés, travailleurs humanitaires et un avocat – dont la majorité ont requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, a dressé un constat accablant : l’obtention de documents officiels reste difficile, tout comme la nécessité de couper les liens avec des proches soupçonnés.

Un haut responsable sécuritaire irakien affirme que le gouvernement facilite largement la réinsertion des retours : délivrance des papiers d’identité, accès à l’emploi. Il indique que la demande de reniement est interdite depuis plusieurs années et encourage tout accueil à signaler ce type d’exigence illégale.

Un avocat évoque que les reniements exigés sont assimilables à des plaintes criminelles au sein de la famille. Il met en garde contre l’idée fausse selon laquelle ces lettres seraient requises pour obtenir des documents officiels tels que cartes d’identité et actes de naissance.

En 2022, Darwish a obtenu la permission de quitter Al-Hol après avoir reçu l’aval des autorités sécuritaires et le soutien de son chef de clan.

Revenu en Irak, il a passé plusieurs mois au « Centre de l’espoir pour la réhabilitation psychosociale » (anciennement Centre Al-Jada’a), où les participants attendent des autorisations supplémentaires avant de retourner chez eux.

« En Irak, on m’a bien accueilli », dit-il. Mais à son arrivée dans la province de Salah al-Din, il a dû, à contrecœur, accepter la condition de se renier deux de ses fils pour être autorisé à revenir.

« Ma famille compte 11 personnes… je suis âgé, sans revenu, sans source de subsistance. Si je ne réussis pas à subvenir à nos besoins, comment vivre ? », se désespère-t-il. Sa maison étant réduite en ruines, il a été contraint d’en reconstruire deux pièces pour loger sa famille.

Thanasīs Kambanīs, directeur du « Century International Studies » à New York, estime que les retours font face à « un avenir incertain », notamment car les membres de familles d’unifier de l’EI « se voient souvent refuser l’accès aux documents indispensables pour la santé, l’éducation et le travail ».

« Au minimum, qualifier toute la famille d’un suspect de l’EI relève d’un châtiment collectif injuste et immoral. Au pire, la politique irakienne crée un terreau fertile pour les extrémistes sectaires violents », avertit-il.

Une trentenaire, sous couvert d’anonymat, redoute de retourner à Salah al-Din, où son père est mort en prison détenu à son retour. Elle vit désormais dans un logement précaire à Mossoul, craignant une expulsion. Elle redoute aussi de devoir « se renier » de son mari pour obtenir des papiers administratifs.

Elle remercie les autorités pour son rapatriement depuis Al-Hol, où la violence ne cesse d’augmenter, mais réclame une solution pour les documents officiels : « Nous avons besoin qu’ils nous soutiennent pour pouvoir avancer. »

Alors que de nombreux pays refusent de rapatrier leurs ressortissants de Al-Hol, l’Irak accélère retours : près de 17 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont déjà été rapatriées. Des ONG nationales et internationales contribuent à faciliter la réintégration.

Le Global Resilience and Reintegration Fund, basé à Genève et spécialisé dans la prévention de l’extrémisme, soutient plusieurs centres locaux qui ont aidé environ 6 000 personnes jusqu’à présent.

Kevin Osborne, responsable au sein de cette organisation, explique que sont proposés un soutien psychosocial et une formation professionnelle, pour faciliter le retour. Cependant, la récente décision de Washington de réduire l’aide étrangère freine ces efforts.

Il insiste : pour augmenter les retours, il faut « élargir l’appui afin de préparer adéquatement les communautés locales et garantir une réinsertion fluide et durable ».

Nouran Mahmoud de l’« Iraqi Development Foundation », également soutenue par le fonds, précise que beaucoup d’anciens rapatriés craignent le rejet social et la stigmatisation, et font face à des défis « économiques, sociaux et psychologiques ».

Son organisation à Mossoul offre des consultations psychologiques : de nombreuses personnes souffrent d’anxiété, d’insomnie ou de dépression. Des programmes éducatifs sont aussi disponibles.

Rahaf (24 ans), bénéficiaire du soutien pour traiter ses traumatismes, a pu reprendre le collège grâce à l’aide de l’ONG. Elle se confie : « Je me sens réussie (…) je veux travailler, soit dans le droit, soit dans l’enseignement. »

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page