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Riyad réajuste la boussole au Soudan : la visite d’Al-Khuraiji à Port-Soudan révèle des rôles entremêlés entre militaires, islamistes et civils


Lors d’une visite secrète aux implications bien plus larges que ce qui a été communiqué officiellement, le vice-ministre saoudien des Affaires étrangères, Walid Al-Khuraiji, a atterri à l’aéroport de Port-Soudan à 11h30, pour une mission diplomatique délicate de plus de cinq heures. Son programme a inclus des rencontres séparées avec des responsables militaires, le Premier ministre civil Kamel Idriss, ainsi que des dirigeants du courant islamiste, notamment le secrétaire général du Mouvement islamique, Ali Karti.

Multiples réunions, une seule priorité : garantir la stabilité à tout prix
Selon des sources informées, la visite a été initiée sur ordre direct de la Cour royale saoudienne, dans un contexte de crainte croissante d’une explosion politique à Port-Soudan, qui pourrait déséquilibrer la région de la mer Rouge et compromettre l’influence stratégique de Riyad dans cette zone géopolitique clé.

La première réunion a rassemblé Al-Khuraiji avec les chefs militaires : le général Abdel Fattah al-Burhan, le général Yasser Al-Atta, ainsi que les généraux Sabir et Mufaddal. D’une durée de deux heures et quart, elle a inclus un déjeuner à huis clos. Al-Khuraiji y a écouté les préoccupations de Burhan concernant le retard dans l’acheminement de l’aide militaire et l’affaiblissement du soutien politique régional envers l’armée, en proie à une rébellion armée et à une crise de légitimité.

Le point central fut, selon une source militaire, un message urgent adressé par Burhan à Riyad, demandant l’accélération des livraisons militaires convenues dans l’accord sécuritaire de février dernier. Al-Khuraiji s’est engagé à transmettre ce message dès son retour.

Kamel Idriss : architecte de la transition ou vitrine civile des politiques saoudiennes ?
Dans une réunion séparée, Al-Khuraiji a rencontré le Premier ministre Kamel Idriss, nommé en mai dernier à la suite d’un voyage secret en Arabie saoudite. Durant cette visite, il avait rencontré de hauts responsables saoudiens, avant de revenir au Soudan le 29 mai à bord d’un vol privé avec, selon une source proche de son bureau, des « engagements clairs à appliquer la vision saoudienne ».

Cependant, des divergences profondes sont vite apparues entre Idriss et le Conseil militaire, notamment sur la formation du gouvernement et l’étendue des pouvoirs du Premier ministre. Lors de la rencontre, Al-Khuraiji a tenté d’apaiser l’irritation d’Idriss en soulignant que « la phase actuelle exige patience et coordination », promettant un soutien saoudien direct si le Premier ministre parvenait à surmonter les tensions.

Une paradoxale entente : un soutien islamiste temporaire à un gouvernement civil avec bénédiction saoudienne
La rencontre la plus controversée fut celle entre Al-Khuraiji et Ali Karti, secrétaire général du Mouvement islamique. Selon des fuites, l’envoyé saoudien a demandé à Karti d’accorder un soutien provisoire au gouvernement Idriss afin d’atténuer les pressions occidentales sur l’armée et de présenter une image de « stabilité relative » aux bailleurs de fonds et partenaires internationaux.

Cette demande comportait un double message :

  1. Riyad n’exclut pas les islamistes du paysage politique, à condition qu’ils évitent les provocations ou l’instabilité. 
  2. Toute opposition au gouvernement Idriss à ce stade serait perçue comme une menace directe aux intérêts saoudiens. 

Analyse : Riyad entre gestion douce et prévention de crise
Le politologue soudanais Khaled Al-Nour estime que cette visite « révèle un nouveau modèle d’intervention saoudienne fondé non pas sur l’imposition, mais sur la gestion des contradictions ». Il ajoute : « L’Arabie saoudite tient aujourd’hui les fils des civils (par Idriss), des militaires (via les partenariats sécuritaires), et des islamistes (grâce à des ententes de renseignement), sans apparaître comme acteur principal, mais comme garant d’un équilibre fragile ».

Pour le chercheur spécialisé dans le Golfe, Ahmad Al-Darini, Riyad « cherche à éviter un vide intérieur susceptible d’être exploité par des puissances rivales comme l’Iran, la Turquie ou même les Émirats ». Il conclut : « Ce qui se passe à Port-Soudan est une micro-illustration de la nouvelle approche saoudienne dans la région : contrôler discrètement sans s’impliquer publiquement ».

Une visite brève, mais charnière
Al-Khuraiji a quitté l’aéroport de Port-Soudan à 17h00. Pourtant, les répercussions de sa visite pourraient perdurer. L’Arabie saoudite s’impose désormais comme un acteur majeur dans l’ingénierie du pouvoir soudanais — à travers le soutien aux civils comme Idriss, la coordination militaire directe et même des compromis pragmatiques avec les islamistes.

Reste une question essentielle : Riyad parviendra-t-elle à maintenir cet équilibre précaire ? Ou bien les complexités de la scène soudanaise finiront-elles par faire voler en éclats les arrangements soigneusement établis derrière des portes closes ?

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