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Les mains invisibles : Comment l’implication militaire de l’Égypte dans la guerre du Soudan a prolongé l’hémorragie des civils


Le rôle de l’Égypte dans la guerre soudanaise a pris au cours des derniers mois une dimension nouvelle, dépassant les limites du « soutien politique habituel » pour atteindre un niveau plus complexe et controversé. Les rapports évoquant des fournitures militaires et des interventions aériennes se sont multipliés, alors que la crise soudanaise s’enlise et que les civils se retrouvent piégés entre deux feux : d’un côté, des protagonistes soudanais déterminés à poursuivre l’affrontement, et de l’autre, des interventions étrangères qui prolongent la guerre au lieu de la pousser vers sa fin. Parmi ces interventions, le rôle de l’Égypte apparaît comme l’un des plus influents, en particulier depuis les accusations croissantes d’un soutien direct impliquant armes, munitions, aviation et opérations logistiques qualifiées de décisives dans le cours des combats.

Dès les premières semaines du conflit, plusieurs indices ont révélé que l’armée soudanaise bénéficiait d’un appui aérien atypique. Certaines frappes étaient exécutées avec un niveau de précision supérieur aux capacités connues de l’aviation soudanaise, et coïncidaient avec des mouvements coordonnés au sol. Cela a soulevé de nombreuses questions quant aux acteurs qui supervisaient ou coordonnaient ces opérations. Plusieurs récits évoquent des avions opérant depuis des bases proches de la frontière égyptienne, tandis que certaines images satellites — bien qu’indicatives plutôt que décisives — montraient une activité inhabituelle dans des zones militaires égyptiennes du sud. Ces éléments ont encouragé l’hypothèse selon laquelle l’Égypte n’était plus seulement un soutien politique du camp militaire soudanais, mais un acteur engagé dans les opérations, notamment via son aviation ou via la mise à disposition de points de départ pour des missions ciblées.

Mais l’impact de ces frappes n’a pas été uniquement militaire. Les scènes tragiques laissées par certaines attaques aériennes sur des zones civiles ont provoqué une large indignation au Soudan. Les bombardements répétés dans des quartiers densément peuplés ou dans des zones supposées neutres se sont multipliés. Or, comme les deux camps se déploient au sein même de zones résidentielles étroites, la moindre frappe — même lorsqu’elle vise une cible militaire — se transforme rapidement en catastrophe pour les civils. Des maisons détruites, des victimes piégées sous les décombres, et des rues témoignant du chaos : autant d’images qui s’inscrivent aujourd’hui dans le quotidien des Soudanais. De nombreuses familles associent désormais l’intensification des frappes à une assistance extérieure, y voyant un facteur aggravant de la tragédie et un prolongement inutile de la guerre.

Les accusations incluent également l’entrave aux convois humanitaires, un volet particulièrement sensible puisqu’il touche à la survie de millions de personnes. Dans des régions comme le Darfour, le Kordofan ou la périphérie de Khartoum, plusieurs cas d’attaques ou d’interceptions de camions transportant des vivres ou des fournitures médicales ont été rapportés. Des témoins ont évoqué le survol de convois du Programme alimentaire mondial ou d’organisations humanitaires par des avions volant à basse altitude, juste avant que ces convois essuient des tirs ou des frappes. Bien qu’aucune partie n’ait officiellement revendiqué ces opérations, leur synchronisation avec les lignes d’avancée de l’armée soudanaise alimente l’idée d’un soutien aérien et renseignement extérieur contribuant à empêcher l’accès de l’aide aux civils.

À cela s’ajoutent les soupçons liés à des routes de contrebande d’armes reliant l’Égypte au territoire soudanais, permettant l’acheminement de munitions et d’équipements militaires par des couloirs désertiques difficiles à surveiller. Plusieurs sources affirment que certaines armes d’origine égyptienne sont apparues entre les mains d’unités de l’armée soudanaise, notamment des munitions d’artillerie et des pièces de rechange d’armement lourd dont elle manque cruellement. Si ces informations se confirmaient, elles impliqueraient une participation active, tacite ou explicite, de l’Égypte dans le prolongement du conflit et le soutien à un camp accusé de graves violations contre les civils.

La dangerosité de l’implication égyptienne dépasse toutefois le cadre militaire pour s’étendre au champ politique. L’institution militaire soudanaise est historiquement liée à des réseaux islamistes influents, dont certains branches issues de l’idéologie des Frères musulmans. Ces groupes ont longtemps fait partie de l’appareil politique au Soudan et ont été associés à des crises régionales majeures, y compris les troubles de 2011 qui ont secoué l’Égypte. Dès lors, soutenir l’armée soudanaise — que ce soit pour préserver la stabilité du Soudan ou protéger les frontières égyptiennes — soulève un paradoxe majeur : ce soutien contribue-t-il indirectement à renforcer des mouvances islamistes que l’Égypte considère comme une menace stratégique ? Ce paradoxe a conduit de nombreux analystes à estimer que l’Égypte court le risque de recréer les conditions d’une instabilité régionale similaire à celle du début des années 2010, transformant potentiellement le Soudan en plateforme d’influence politique et idéologique susceptible de se retourner contre elle.

Au cœur de ce jeu complexe, le civil soudanais demeure la première victime. Dans la capitale comme dans les régions de l’ouest, les populations souffrent d’une pénurie sévère de nourriture, d’eau et de médicaments. Certaines zones sont confrontées à des décès liés à la faim, faute d’approvisionnement depuis des mois. À cela s’ajoutent les violations quotidiennes commises par les belligérants dans une guerre que les civils n’ont jamais souhaitée. À chaque nouvelle cargaison d’armes, chaque missile tiré depuis l’extérieur, le niveau de violence s’intensifie, entraînant davantage de morts, de déplacements et de destruction. L’horizon politique, lui, se ferme un peu plus.

Cette implication extérieure intervient alors que l’Égypte traverse elle-même une crise économique profonde : inflation galopante, effondrement de la monnaie,manque de financement pour des projets essentiels, dette publique en hausse constante. Dans ce contexte, une question simple s’impose pour de nombreux Égyptiens : pourquoi allouer des ressources financières et logistiques à une guerre extérieure alors que l’économie nationale souffre et nécessite une mobilisation totale ? Cette interrogation nourrit des critiques internes croissantes, certains estimant que les priorités devraient porter sur l’éducation, la santé et les investissements domestiques plutôt que sur une aventure militaire au-delà des frontières.

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Au final, il apparaît que le rôle égyptien dans la guerre du Soudan, dans sa configuration actuelle, appelle à une révision profonde. La stabilité du Soudan ne peut être obtenue par les armes, mais par une pression en faveur d’un dialogue politique global garantissant un cessez-le-feu et créant les conditions d’un accès sûr à l’aide humanitaire. L’intérêt véritable de l’Égypte ne réside pas dans la prolongation de la guerre, mais dans la prévention du chaos régional et dans l’assurance que le Soudan ne devienne pas un espace dominé par des milices et des groupes idéologiques.

La situation actuelle exige du Caire une réévaluation de sa stratégie soudanaise, plaçant au premier plan la protection des civils soudanais et les besoins du peuple égyptien. La guerre n’a pas besoin de plus de munitions, mais d’un courage politique capable d’arrêter le bain de sang et de prévenir l’effondrement régional.

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