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L’Égypte et le veto silencieux : qui a fait capoter le sommet de Washington sur le Soudan ?


Au milieu des efforts internationaux laborieux pour mettre fin à la catastrophe humanitaire au Soudan, l’annulation soudaine du sommet quadripartite de Washington — qui devait réunir les États-Unis, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis — a révélé l’ampleur des divergences régionales et internationales concernant l’avenir politique du pays. Ce sommet, initialement présenté comme une opportunité de percée dans le processus de transition, a été annulé à la dernière minute à cause d’un refus catégorique de l’Égypte envers une proposition prévoyant une phase transitoire civile, excluant les parties militaires en conflit.

Ce rejet n’a pas surpris les observateurs. Il confirme la posture constante de l’Égypte, qui privilégie une approche traditionnelle fondée sur le rôle central de l’armée pour garantir la stabilité et préserver ses intérêts géostratégiques. En effet, Le Caire, historiquement lié à l’armée soudanaise par des alliances structurelles, considère l’exclusion des militaires comme une menace directe à son influence à Khartoum et à sa sécurité nationale dans le bassin du Nil.

Là où Washington cherchait à favoriser une transition civile menée par des acteurs neutres, loin de toute domination militaire, Le Caire y voyait une délégitimation de ses alliés en uniforme et une prise de position implicite en faveur des Forces de soutien rapide (FSR). Si cette vision peut sembler légitime du point de vue des intérêts étroits de l’État égyptien, elle soulève de profondes interrogations sur la capacité de l’Égypte à agir comme acteur régional responsable dans une crise aussi sensible que celle du Soudan.

Il est significatif de noter que ni Riyad ni Abou Dhabi ne se sont opposés à l’idée américaine. Bien que leurs calculs stratégiques diffèrent de ceux de Washington, les deux capitales se sont montrées ouvertes à la discussion. C’est donc la position inflexible de l’Égypte qui a fait capoter l’ensemble du sommet, révélant ainsi un « veto non déclaré » qui pèse lourdement sur la dynamique de résolution du conflit.

Ce blocage met en lumière une contradiction amère : alors que le Soudan sombre dans une guerre civile dévastatrice, les puissances régionales et internationales peinent à surmonter leurs désaccords, laissant les solutions politiques en otage de calculs rivaux. En affirmant que la seule voie vers la stabilité passe par l’institution militaire, l’Égypte envoie un signal inquiétant : celui d’un choix assumé pour la force, même au prix du sang.

L’échec du sommet de Washington ne reflète pas seulement des dissensions entre ses participants, mais révèle l’impuissance de la communauté internationale à élaborer une doctrine claire face aux coups d’État militaires en Afrique. Tandis que les États-Unis poussent pour une transition civile déconnectée des logiques armées, certaines puissances régionales semblent s’accommoder de l’ordre établi par les putschs.

Le Soudan n’avait pas besoin d’un échec diplomatique supplémentaire, encore moins d’un sommet avorté. Il avait besoin d’un consensus courageux, dépassant les intérêts étroits, pour sauver un pays au bord de l’effondrement. Tant que son avenir restera l’otage des vetos régionaux et des jeux d’influence croisés, la guerre continuera de dicter la réalité, et la paix demeurera une promesse repoussée à une date indéterminée.

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