Le triangle de la mort : comment Al-Qaïda a militarisé les frontières du centre et du sud du Yémen ?
De façon récurrente, l’organisation Al-Qaïda dans la péninsule Arabique réapparaît sur la scène yéménite à travers des attaques violentes et des mouvements menés depuis les régions centrales et méridionales du pays.
Cette zone frontalière, désormais appelée localement «le triangle de la mort», s’étend entre les gouvernorats libérés de Chabwa et d’Abyan, ainsi que celui d’Al-Bayda, contrôlé par les Houthis. Elle constitue un point stratégique à partir duquel Al-Qaïda lance ses opérations, notamment les embuscades.
Les combattants d’Al-Qaïda circulent ouvertement dans cette région, où ils ont installé un poste de contrôle ne se trouvant qu’à quelques mètres de positions tenues par les milices houthies soutenues par l’Iran.
Khoura
Dans ce triangle de la mort se trouve, d’après les mêmes sources, le camp d’«Umaizifa» situé dans la localité de Khoura, au sein du district de Markha al-Sufla, à l’extrême sud-ouest de Chabwa. Le groupe y occupe des zones reculées et difficiles d’accès, bordées à l’ouest par des positions militaires houthies dépendant administrativement d’Al-Bayda.
Khoura est un passage essentiel reliant le nord et le centre du Yémen au sud par une route escarpée. Elle se situe à environ 120 km du chef-lieu de la province, Ataq, ce qui en a fait un objectif difficile à libérer pour les forces de sécurité et l’armée de Chabwa.
La population de Khoura avoisine les 70 000 habitants et souffre d’un manque criant de services, ce qui a permis à Al-Qaïda d’y ériger, à la frontière avec Al-Bayda, un poste de contrôle arborant ses drapeaux noirs, selon le témoignage d’un voyageur empruntant cette route.
Le 9 novembre dernier, les positions d’Al-Qaïda à Khoura ont été ciblées par des frappes américaines. Celles-ci visaient, pour la première fois depuis des années, un dépôt d’armes et un atelier de fabrication d’explosifs afin de réduire les capacités opérationnelles du groupe.
Al-Musayni‘a
Outre Khoura, Al-Qaïda est également présent à Al-Musayni‘a, dans le district d’Al-Saeed, relevant lui aussi de la province de Chabwa et bordé par la chaîne montagneuse accidentée d’Al-Kur, laquelle s’étend jusqu’au district d’Al-Mahfad dans la province d’Abyan.
Les forces du Sud avaient éliminé l’émir d’Al-Qaïda à Al-Musayni‘a, Abu Awad Saleh Al-Tawsali, le 25 juillet 2025, lors d’affrontements dans la zone d’Ard Al-Ghasil, dans le district de Hatib.
Une source militaire estime que la région d’Al-Musayni‘a et les montagnes d’Al-Kur ont pu servir de base de départ à la vaste attaque terroriste menée par Al-Qaïda le 21 octobre dernier contre le complexe gouvernemental d’Al-Mahfad à Abyan, utilisant deux voitures piégées et huit kamikazes.
Bien que les forces du Sud aient réussi à repousser l’attaque avec efficacité, cet événement a tiré la sonnette d’alarme concernant les capacités croissantes d’Al-Qaïda et sa volonté de conserver son influence à Chabwa et Abyan.
Les anciens bastions d’Abyan
Dans la province d’Abyan, il n’existe plus de zones de contrôle clairement définies pour Al-Qaïda en raison des opérations militaires menées par les forces du Conseil de transition du Sud et le gouvernement yéménite.
Cependant, une source locale affirme que le groupe reste présent sous forme de cellules actives dans plusieurs districts, notamment à Mudiya, Jayshan, Al-Wadi‘a et Al-Mahfad. Ces cellules utilisent des chemins montagneux pour accéder à leurs anciens bastions tels que Wadi Omran et Wadi Rafdh, à l’est de la province.
Al-Qaïda dans la péninsule Arabique est considéré comme la branche la plus dangereuse du réseau dans le monde. Il est dirigé depuis mars 2024 par Saad bin Atef Al-Awlaki. Selon des rapports onusiens, la coopération entre les Houthis et l’organisation s’est intensifiée, englobant la formation de combattants d’Al-Qaïda et la fourniture de soins médicaux à leurs membres dans les zones contrôlées par les Houthis, ce qui témoigne d’une stratégie visant à consolider leur pouvoir par des alliances tactiques.
L’accord entre les Houthis et Al-Qaïda portant sur l’arrêt des hostilités et la poursuite d’une guerre d’usure contre les forces gouvernementales légitimes reste en vigueur. Les deux parties ont procédé à un échange de prisonniers le 31 mars dernier.
