Le scénario des deux gouvernements ravive les craintes de partition au Soudan

De Port-Soudan à l’est jusqu’à Nyala à l’ouest, une course effrénée s’engage entre les deux parties du conflit soudanais pour former un gouvernement légitime avant même la fin de la guerre.
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Alors que le commandement de l’armée soudanaise, soutenu par ses alliés, s’oriente vers la formation d’un nouveau gouvernement à Port-Soudan, dirigé par le Premier ministre nouvellement nommé Kamel Idriss, la ville de Nyala, dans l’État du Darfour du Sud, a vu la proclamation officielle, la semaine dernière, du conseil dirigeant de l’Alliance de fondation du Soudan (appelée « Tassis »), présidée par le chef des Forces de soutien rapide, Mohamed Hamdan Daglo.
« Tassis » est le regroupement chargé de former un gouvernement parallèle à celui de Port-Soudan.
Alors que les combats se poursuivent dans plusieurs régions du pays malgré les appels à la paix, les craintes d’une division du Soudan s’accentuent.
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Un gouvernement à Port-Soudan
En mai dernier, le chef de l’armée soudanaise et président du Conseil souverain de transition, Abdel Fattah al-Burhan, a nommé Kamel Idriss Premier ministre du gouvernement civil envisagé à Port-Soudan.
Il s’agit du premier Premier ministre nommé depuis la démission d’Abdallah Hamdok en janvier 2022, survenue après l’échec des négociations entre les forces politiques, suite à la dissolution du gouvernement civil par l’armée le 25 octobre 2021.
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La nomination de Kamel Idriss intervient dans un contexte politique et sécuritaire très tendu depuis le déclenchement de la guerre en avril 2023 entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, qui a entraîné un vide institutionnel, l’effondrement des services publics et le déplacement de 13 millions de personnes, dont 4 millions vers les pays voisins.
La coalition civile démocratique des forces de la révolution soudanaise, « Samoud », a dénoncé cette nomination, affirmant qu’elle « n’a aucune légitimité constitutionnelle » et représente une tentative désespérée de l’armée pour obtenir une reconnaissance internationale avant la fin de la guerre.
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Le secrétaire général de la coalition « Samoud », Siddiq al-Mahdi, a déclaré que la priorité devrait être l’arrêt de la guerre, soulignant que « cette nomination n’a aucun fondement constitutionnel et cherche uniquement à légitimer une situation illégale ».
Malgré les appels internes, l’armée a poursuivi la formation d’un gouvernement civil. Kamel Idriss a déjà nommé cinq ministres, mais des blocages persistent pour les autres postes, notamment en raison de désaccords avec les signataires de l’Accord de paix de Juba, en particulier les mouvements de la Justice et de l’Égalité dirigé par Jibril Ibrahim, et de Libération du Soudan dirigé par Minni Minnawi.
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Un gouvernement parallèle à Nyala
En février dernier, plusieurs factions militaires et politiques soudanaises ont annoncé depuis Nairobi la création de l’Alliance de fondation du Soudan « Tassis ».
Cette alliance inclut les Forces de soutien rapide, le SPLM-N dirigé par Abdelaziz al-Hilu, plusieurs groupes armés du Darfour, le président du Parti Oumma, Fadlallah Barma Nassir, et un représentant du Parti unioniste démocratique, Ibrahim al-Mirghani.
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En février et mars derniers, l’alliance a adopté sa charte fondatrice et un projet de constitution transitoire, établissant notamment le principe de laïcité de l’État.
Le groupe prévoit d’annoncer prochainement son « gouvernement de paix », en opposition à celui de Port-Soudan.
La semaine dernière, « Tassis » a désigné son état-major : Mohamed Hamdan Daglo (président), Abdelaziz al-Hilu (vice-président), Dr Alaa Naqd (porte-parole) et Makin Tirab (secrétaire exécutif).
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Selon des observateurs, l’annonce d’un gouvernement parallèle accentuera la polarisation entre les belligérants et pourrait favoriser la scission du Soudan en deux États distincts.
La coalition « Samoud » a mis en garde contre cette initiative, appelant les deux camps à entamer des négociations pour mettre fin à la guerre, avant de lancer un processus politique inclusif visant à établir un gouvernement civil légitime répondant aux aspirations démocratiques du peuple soudanais.
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Le spectre de la division
Le colonel à la retraite Walid Ezzedine, membre du haut commandement du groupement « Tadhamon » des anciens officiers, estime que la précipitation des deux parties à établir des gouvernements séparés « complique la situation et renforce les appels à l’autodétermination, voire à la séparation du Soudan en deux entités ».
Il explique que dans un contexte international favorable à un règlement négocié, chaque partie cherchera à inclure ses alliés dans les pourparlers, ce qui pourrait déboucher sur des revendications d’autonomie, notamment dans l’ouest du pays, sous contrôle des Forces de soutien rapide et de groupes alliés.
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Il a également souligné que ces forces avancent sur Al-Fashir (Nord-Darfour) et collaborent avec le SPLM-N pour contrôler le Kordofan, à l’ouest.
Selon lui, la prise de la zone frontalière triangulaire entre le Soudan, l’Égypte et la Libye par les Forces de soutien rapide renforce le risque de partition, d’autant que la direction militaire à Khartoum reste influencée par l’agenda des Frères musulmans, peu soucieux de l’unité nationale.
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