Le président al-Charaa peine à asseoir son autorité après six mois au pouvoir

La participation des minorités, les compromis avec les Kurdes, l’intégration des combattants étrangers et les menaces israéliennes figurent parmi les principaux défis des nouvelles autorités syriennes.
Le président Ahmed al-Charaa a réussi à rallier la communauté internationale et à faire lever des sanctions économiques étouffantes durant les six premiers mois de son mandat. Il doit toutefois relever de grands défis, selon les analystes, au premier rang desquels l’établissement d’un gouvernement efficace, la relance de l’économie et le maintien de l’unité du pays.
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Lorsqu’il est arrivé à Damas le 8 décembre, après la chute du régime de Bachar al-Assad, al-Charaa a été confronté à quatre entités de pouvoir : un gouvernement central à Damas, un gouvernement de salut qui administre la région d’Idleb (nord-ouest), un autre contrôlant les zones tenues par des factions pro-Ankara dans le nord, et enfin l’administration autonome kurde. Chacune de ces entités dispose de ses propres structures économiques, militaires, judiciaires et civiles.
« Parvenir à garantir la stabilité dans un pays politiquement fragile, à un moment aussi critique, est une réalisation majeure », estime Radwan Ziadeh, directeur exécutif du Centre syrien pour les études politiques et stratégiques à Washington. Il considère que « réussir la transition », prévue sur cinq ans, est le « défi le plus complexe ».
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Les violences à caractère confessionnel, qui ont touché la minorité alaouite — faisant plus de 1 700 morts en deux jours — puis la communauté druze, ont ébranlé la confiance dans la capacité du gouvernement à instaurer la stabilité et à garantir les droits des minorités préoccupées par leur avenir.
Selon Ziadeh, « la gestion des minorités est l’un des défis internes majeurs. Construire la confiance entre les différentes composantes de la société nécessite un effort politique accru pour assurer la coexistence et l’unité nationale ».
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Les efforts d’al-Charaa pour étendre son autorité se heurtent à la demande kurde d’un système décentralisé leur permettant de maintenir leur autonomie institutionnelle, une proposition rejetée par Damas.
Badran Jia Kurd, figure politique kurde, déclare : « Le gouvernement intérimaire doit s’abstenir de recourir à des solutions sécuritaires et militaires pour traiter les questions en suspens » et « s’ouvrir davantage à l’inclusion des composantes syriennes dans le processus politique ».
La déclaration constitutionnelle actuelle ne prévoit aucune élection pendant la période de transition. Des élections législatives sont attendues à l’issue de celle-ci, après l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
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Le mois dernier, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a mis en garde contre une éventuelle guerre civile imminente, évoquant le risque de « division effective du pays » en raison des nombreux défis auxquels fait face l’autorité transitoire.
Pour Neil Quilliam, chercheur à Chatham House, le principal défi d’al-Charaa est « de tracer une voie qui rassemble tous les Syriens, rapidement mais sans précipitation ».
Contrairement à d’autres pays ayant connu un changement brutal de régime, al-Charaa est parvenu à maintenir une relative stabilité, malgré la dissolution des anciens services de sécurité et de l’armée. Cependant, la sécurité reste précaire, avec des enlèvements, des assassinats et des arrestations perpétrés régulièrement par des factions affiliées au pouvoir ou par des groupes inconnus, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme et divers témoignages en ligne.
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Les violences confessionnelles, notamment à l’encontre des Alaouites, ont ravivé les doutes sur la capacité d’al-Charaa à contrôler les différentes factions, y compris des groupes jihadistes radicaux dont la présence inquiète la communauté internationale. Washington a exhorté al-Charaa à leur demander de quitter le pays.
Les autorités ont récemment pris plusieurs mesures pour réorganiser les institutions sécuritaires et militaires, notamment l’obligation pour les chefs de factions de suivre une formation à l’académie militaire avant toute promotion. La nomination de six jihadistes étrangers au ministère de la Défense a suscité de vives critiques.
Une source syrienne anonyme a révélé que les autorités transitoires avaient adressé un message à Washington, s’engageant à « geler les promotions des combattants étrangers ».
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Le dossier des combattants étrangers reste délicat : al-Charaa ne peut se séparer de ceux qui l’ont soutenu militairement pendant des années, tandis que leurs pays d’origine refusent de les rapatrier.
À cela s’ajoutent des milliers de combattants de Daech et leurs familles détenus par les forces kurdes, que le pouvoir actuel n’a ni la capacité humaine ni logistique de transférer dans ses propres prisons.
Al-Charaa a hérité d’un pays au bord de la faillite : une économie épuisée, des services publics dégradés, un système financier isolé du monde, et une population majoritairement sous le seuil de pauvreté selon l’ONU.
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Des signes de changement sont perceptibles dans la vie quotidienne : les carburants, les biens de consommation et les fruits autrefois introuvables sont de nouveau accessibles, et le dollar est désormais utilisé couramment, bien qu’il fût interdit auparavant.
Avec la levée des sanctions — notamment américaines — al-Charaa accorde, selon un proche, une priorité absolue à la lutte contre la pauvreté et à l’augmentation du revenu individuel, qu’il considère comme une condition essentielle à la stabilité.
Mais cette levée ne suffit pas : de nombreuses réformes sont nécessaires.
L’économiste Karam Shaar explique à l’AFP : « La stabilité politique est essentielle pour la reprise économique, mais le cadre légal et réglementaire reste flou, ce qui entrave les investissements ».
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Les autorités révisent actuellement la loi sur l’investissement et œuvrent à créer un environnement attractif pour les investisseurs étrangers. Al-Charaa affirme que la relance des infrastructures et des services publics repose largement sur ces investissements.
L’amélioration des services d’électricité, d’éducation et de production agricole est essentielle pour redynamiser les zones sinistrées et favoriser le retour de millions de réfugiés — un objectif partagé par plusieurs pays européens ainsi que par les voisins de la Syrie, comme la Turquie, la Jordanie et le Liban.
Toutefois, tout soutien international s’accompagne de conditions. Washington réclame, entre autres, que la Syrie rejoigne les accords de normalisation avec Israël, qui a mené des centaines de frappes en Syrie depuis la chute d’al-Assad, et dont les forces continuent de pénétrer le sud du pays.
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Neil Quilliam note que « l’escalade continue des attaques israéliennes rend la perspective d’une normalisation très éloignée, même sous pression des États-Unis ou de la communauté internationale ».
Damas n’a pas encore pris position sur ce dossier, bien qu’elle ait reconnu avoir engagé des négociations indirectes avec Israël pour contenir l’escalade.
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