Politique

Le feu de l’absence dans la guerre de Gaza : ni corps ni nouvelles


À Gaza, la mort ne se contente pas d’emporter les vies, elle laisse derrière elle un vide terrifiant qu’on appelle la perte. Des familles entières errent parmi les décombres à la recherche d’êtres chers disparus, sans trace ni certitude.

Deux ans après le déclenchement de la guerre, qui a suivi l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas, les habitants de la bande de Gaza ne redoutent plus seulement la mort : c’est désormais la quête désespérée des disparus qui déchire les cœurs.

Un rapport de l’agence Associated Press met en lumière la détresse de milliers de familles qui vivent dans l’attente d’un signe de vie, d’un indice, d’un nom retrouvé. Certaines cherchent sous les ruines, d’autres dans les prisons israéliennes, toutes sans accès à des outils modernes d’identification comme l’analyse ADN, devenue un luxe inaccessible dans un territoire assiégé.

Parmi ces histoires se détache celle de Mohammed al-Najjar. Une nuit de décembre 2023 a bouleversé sa vie pour toujours. Alors qu’il tentait de fuir les bombardements au sud de Gaza avec son épouse et leurs six enfants, son fils Ahmad, âgé de 23 ans, a disparu dans le chaos. Depuis deux ans, la famille vit dans un tourment sans répit, oscillant entre espoir et désespoir.

Au matin, Mohammed a fouillé les hôpitaux, interrogé les voisins, parcouru les morgues et contacté la Croix-Rouge internationale. Rien. « C’est comme si la terre l’avait avalé », confie-t-il depuis la tente où il vit aujourd’hui avec sa famille à Al-Mawasi, leur neuvième refuge depuis le début de la guerre. « Est-il mort ? Est-il prisonnier ? Nous sommes perdus. Tout nous fait souffrir. »

Des milliers d’autres familles partagent le même sort. Certaines ont vu leurs proches ensevelis sous des immeubles détruits, d’autres ont perdu tout contact pendant les opérations militaires israéliennes. « Personne ne connaît le nombre exact de disparus », reconnaît Kathryne Bomberger, directrice générale de la Commission internationale pour les personnes disparues.

Selon le ministère de la Santé de Gaza, environ 6 000 personnes seraient encore ensevelies sous les décombres, mais le chiffre réel serait bien plus élevé. « Des familles entières ont été tuées dans une seule frappe. Personne n’est resté pour signaler les disparus », explique Zahir al-Wahidi, responsable des données du ministère.

En parallèle, la Croix-Rouge internationale recense au moins 7 000 disparitions non résolues, sans compter celles des victimes piégées sous les ruines. Israël, pour sa part, refuse de divulguer les informations sur les détenus ou leur lieu de détention, invoquant le secret militaire.

La guerre a créé d’innombrables façons de disparaître. Des centaines de civils ont été arrêtés aux points de contrôle ou lors de descentes sans que leurs familles soient informées. Pendant les attaques terrestres, des témoins rapportent que des corps ont été laissés dans les rues, parfois abattus lorsqu’ils tentaient de récupérer les morts.

Bomberger souligne que l’identification de ces victimes nécessite des moyens technologiques avancés : analyses ADN, échantillons familiaux, photos aériennes pour repérer les charniers. Or, Israël interdit l’entrée de ce type de matériel dans Gaza. « Trouver les disparus est une responsabilité de l’État occupant, donc d’Israël. Tout dépend de sa volonté politique », ajoute-t-elle.

Le drame de Fadwa al-Ghalbān illustre cette douleur. Son fils Musab, âgé de 27 ans, a disparu en juillet 2024 après être sorti chercher de la nourriture à Khan Younès. Ses cousins l’ont aperçu gisant à terre près d’une position militaire israélienne, mais n’ont pas pu l’approcher. Quand ils sont revenus, son corps avait disparu — seules

ses sandales restaient. Sa famille continue de publier sa photo sur les réseaux sociaux, espérant qu’il ait été arrêté vivant. « Il y a un feu dans mon cœur », dit-elle. « Même s’il était enterré, ce serait moins douloureux que cette attente. »

Les organisations de défense des droits humains affirment qu’Israël détient arbitrairement des centaines de Palestiniens de Gaza, sans inculpation ni procès, souvent sans contact avec leurs proches. Selon l’ONG israélienne HaMoked, 2 662 Gazaouis étaient emprisonnés en Israël en septembre 2025, sans compter des centaines d’autres détenus dans des installations militaires où des cas de torture ont été documentés.

Faute d’outils ou de ressources, les familles creusent de leurs propres mains pour retrouver un signe, un objet, une trace. Khaled Nassar, qui a perdu sa fille Dalia et son fils Mahmoud dans deux bombardements distincts, continue de fouiller les ruines de sa maison à Jabaliya. « Si un jour il y a un nouveau cessez-le-feu, je reviendrai chercher, dit sa femme Khadra. Même si je ne trouve qu’un anneau à son doigt, je le mettrai dans une tombe et je dirai : c’est mon fils. »

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