Turquie

La Turquie… Politiser la justice sur ordre présidentiel


La Cour Européenne des Droits de l’Homme a mis en lumière le dénigrement du système judiciaire turc d’Erdoğan, où les autorités turques ont condamné son traitement de l’affaire Ahmad Altan, écrivain et intellectuel vieillissant, initialement condamné à la prison à vie (réduit de 10 à 6 mois) pour avoir participé au coup d’État militaire de 2016.

Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que les actes du demandeur faisaient partie d’un plan visant à renverser le Gouvernement, notant que l’allégation n’avait pas permis à Altan d’accéder au fond de l’affaire qui lui avait été présentée, ainsi que d’autres violations de la procédure régulière.

On peut dire la même chose des nombreux prisonniers qui sont incarcérés dans le système actuel. Erdoğan a systématiquement transformé la justice turque en outil coercitif et en cas d’attaque permanente de l’emprise politique et de l’opposition, dans le but d’étouffer toute opposition, critique ou politique, dans le but ultime de lever toutes les restrictions imposées au pouvoir exécutif.

Rien qu’en 2019, quelque 36 066 personnes ont été interrogées en Turquie pour « outrage » à Erdoğan.

Sur ces affaires, 12 298 ont abouti à des procès et 3 831 à des condamnations. Une personne a été condamnée à 12 ans de prison et trois mois de prison pour seulement sept passages de messages diffusés sur les médias sociaux il y a cinq ans.

Parfois, certains juges tentent d’inverser cette tendance et d’exercer leurs fonctions, mais ils ne le seront pas trop longtemps. Toutefois, de telles situations sont rares, puisque la justice agit sur ordre du Président en proie à la panique de l’opposition et des coups d’État.

Si cela ne suffit pas, Erdoğan engage régulièrement des poursuites judiciaires personnelles contre les leaders de l’opposition pour diffamation. L’idée est d’utiliser les ressources de l’État pour harceler et intimider les opposants sous couvert de matériel légal qu’ils ont adopté pour se protéger et intimider autrui.

Le génie du régime n’est pas seulement son arbitraire, mais aussi son incapacité à prévoir ses actions. Être critique signifie vivre à temps perdu comme on ne peut prédire quand l’appareil d’État sera persécuté et harcelé par une personne ou pour quelque raison que ce soit.

Le mois dernier, Omar Faruk Ghirlioglu, député de l’opposition et militant des droits de l’homme, a été aboli parce qu’il a été condamné pour avoir soutenu le terrorisme en raison d’un nouveau tweet sur un article d’information publié en 2016 à l’occasion de la Journée internationale de la femme, et a été poursuivi pour « insulte au Président ».

Les accusations portées contre les opposants peuvent souvent susciter un choc. Ahmed Altan et son frère Mohammad ont été accusés d’origine d’avoir envoyé des messages anonymes aux organisateurs d’un coup d’État à la télévision. (Mohamed a été libéré depuis, mais Ahmed, bien sûr, est toujours en prison.)

L’arbitraire s’étend au respect des décisions judiciaires. Le mois dernier, les procureurs ont lancé un procès pénal contre le Parti démocratique populaire, qui s’en prend aux Kurdes, le troisième plus grand parti du Parlement. Son dirigeant, Selahattin Demirtaş, est emprisonné en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle turque de 2020 selon laquelle sa détention est inconstitutionnelle et doit donc être libéré.

Mais le gouvernement a ignoré la décision d’un tribunal turc ainsi que le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme. (Il convient d’ailleurs de noter que la Turquie est tenue, en vertu du Traité, d’appliquer les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.)

Erdoğan a également ignoré des dispositions similaires concernant Othman Kavala, un dirigeant de la société civile et un philanthrope qui a été victime d’accusations mensongères sans aucune preuve. Lorsque les tribunaux n’ont trouvé aucun fondement pour les accusations portées contre lui, de nouvelles procédures ont été introduites, le Procureur demandant trois périodes de vie en tant que peine. L’inculpation découle d’une fausse coïncidence – j’étais à Istanbul lors d’un coup d’Etat manqué le week-end, alors que je dirigeais un séminaire sur l’Iran et que j’ai eu l’occasion de rencontrer Kavala dans un restaurant quelques jours plus tard. La décision finale de la Cour européenne des droits de l’homme de libérer Kavala n’est qu’une autre disposition qui a été ignorée.

Il n’est pas surprenant que même le Département d’État des États-Unis ait jugé nécessaire d’avertir les citoyens américains de la possibilité de se rendre en Turquie en raison du risque d’« arrestations arbitraires » sur la base de « preuves insuffisantes ou secrètes qui semblent politiquement motivées ».

En fin de compte, Erdoğan habite un monde unique défini par l’un de ses disciples, le dictateur italien Benito Mussolini, qui était obsédé par les insultes à lui-même. Mussolini passait des heures à chercher dans la presse tout ce qui lui était à l’intérieur ou à l’extérieur. Erdoğan semble faire la même chose.

L’avenir n’est pas bon pour la Turquie. L’érosion des normes constitutionnelles et de la démocratie par l’utilisation d’outils arbitraires finira par provoquer l’effondrement des institutions étatiques. Une fois que cela se produira, il sera presque impossible de la refaire surface – ce que Erdoğan n’a pas compris, et s’il le sait, il ne se souciera plus des fébrilité du régime.

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