La montée de l’influence russe au Sahel via la Libye inquiète l’Occident

Les ambitions russes ne se limitent pas à une simple expansion géographique, mais relèvent d’une stratégie plus large visant à combler le vide laissé par le recul des puissances occidentales, notamment la France, en exploitant la fragilité sécuritaire de plusieurs pays du Sahel.
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La région du Sahel connaît récemment une expansion notable de la présence russe, à travers un axe stratégique s’étendant de la Syrie vers l’Est libyen, pour atteindre le cœur du continent africain. Cette montée en puissance de Moscou, dans un contexte de retrait progressif des puissances occidentales, suscite une inquiétude croissante à Washington et dans plusieurs capitales européennes, face aux risques sécuritaires et politiques susceptibles d’aggraver l’instabilité régionale.
Un rapport publié par la revue African Defense Forum, affiliée au commandement américain en Afrique (AFRICOM), indique que Moscou cherche, depuis la fin de 2024, à redéfinir sa carte d’alliances et d’influence, après le déclin de sa présence militaire et politique en Syrie dû à l’effondrement du régime de Bachar el-Assad. La Russie aurait ainsi choisi la Libye comme nouvelle passerelle stratégique vers l’Afrique, en y redéployant troupes et équipements militaires lourds à l’est du pays.
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Selon plusieurs analystes, cette évolution dépasse le simple repositionnement géographique : elle s’inscrit dans une stratégie globale visant à combler le vide laissé par l’Occident, en tirant profit de la vulnérabilité sécuritaire dans plusieurs pays sahéliens.
Le chercheur militaire Andrew McGregor, de la Jamestown Foundation, affirme que Moscou a renforcé sa présence sur la base aérienne d’Al-Khadim, à l’est de Benghazi, devenue une « plateforme avancée » pour le stockage d’armements et le transfert de ressources vers des pays comme le Mali et le Burkina Faso.
Il relie cette manœuvre à « l’héritage militaire de Kadhafi », estimant que le Kremlin réutilise les infrastructures jadis mobilisées par le leader libyen pour son expansion vers le sud dans les années 1980, avec le soutien soviétique.
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Des enquêtes médiatiques, notamment de Radio France Internationale, révèlent l’existence d’un pont aérien entre les bases russes en Syrie et en Libye. En mai 2025, des avions cargo russes Antonov-124 ont été observés reliant une base syrienne à Al-Khadim, pour acheminer ensuite du matériel militaire vers Bamako et Ouagadougou.
Bien que la nature exacte des cargaisons demeure floue, la taille des appareils laisse supposer le transport de systèmes de défense aérienne ou de blindés lourds, en soutien aux régimes militaires en place dans plusieurs États africains.
Le journal Le Monde a identifié au moins huit vols entre la Syrie et la Libye entre décembre 2024 et janvier 2025. Des vidéos diffusées par des groupes paramilitaires russes montrent des équipements lourds arborant des symboles exprimant la continuité de l’influence russe du Moyen-Orient vers l’Afrique.
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De son côté, la chercheuse Lou Osborn, du collectif d’investigation All Eyes on Wagner, souligne que Moscou a intensifié sa coopération avec le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, contrôlant l’est de la Libye. Ce soutien dépasse la coopération militaire et comprend des livraisons d’équipements avancés et un appui logistique régulier via des vols en provenance du Moyen-Orient.
Osborn précise toutefois que la Russie maintient aussi un canal de communication avec le gouvernement d’Abdelhamid Dbeibah à Tripoli, tout en renforçant ses relations avec l’Algérie et la Tunisie, ce qui montre une volonté de bâtir une toile d’influence multilatérale, au nord comme au sud du Sahara.
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Dans une évolution marquante, l’agence italienne Nova a rapporté que la Russie a réhabilité la base aérienne abandonnée de Ma’tan as-Sarra, près des frontières soudanaise et tchadienne, pour renforcer sa présence dans l’arrière-pays. Pour Anas El Gomati, directeur de la Sadeq Institute, cette base représente un « ancrage stratégique permettant à Moscou d’étendre son influence de la Méditerranée jusqu’au cœur de l’Afrique ».
Il ajoute que cette base permet d’approvisionner directement ses alliés au Soudan et au Mali en armes et carburants, grâce à la couverture logistique des forces de Haftar.
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En réaction, Abdelhamid Dbeibah a exprimé son opposition ferme à toute transformation de la Libye en terrain de confrontation entre puissances étrangères. Dans une interview accordée au Guardian, il a averti que l’afflux continu d’armement russe risquait d’aggraver les divisions internes et de compliquer davantage le processus politique.
Le chercheur Jalel Harchaoui, affilié au Royal United Services Institute à Londres, partage cette analyse, estimant que l’équilibre que Moscou essayait de maintenir entre les différentes parties libyennes est en train de s’effondrer, ce qui pourrait exposer la Russie à des défis croissants si elle continue à privilégier un camp.
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Dans ce contexte, de nombreux observateurs soulignent que le retrait progressif des puissances occidentales, notamment la France et les États-Unis, a offert à Moscou une occasion unique de se repositionner. Alors que la méfiance envers les anciennes puissances coloniales s’accroît dans plusieurs capitales africaines, la Russie semble plus apte à construire de nouvelles alliances, notamment via des outils non conventionnels comme les sociétés militaires privées et les mercenaires.
En l’absence d’une stratégie unifiée de Washington et Bruxelles, la crainte demeure que le Sahel ne devienne un théâtre d’influence russe majeur, où se mêleraient enjeux géopolitiques, intérêts économiques et ambitions militaires, dans une région déjà fragilisée par le terrorisme, les coups d’État et les conflits armés.
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