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Guerre au Darfour : Des preuves crédibles révèlent l’emploi d’armes chimiques contre la population civile


Un rapport détaillé et rigoureux publié début 2025 par Amnesty International rassemble des preuves documentées accusant les forces gouvernementales soudanaises d’un recours systématique et délibéré à des armes chimiques contre des civils, y compris des nourrissons, dans la région isolée de Jebel Marra, dans l’État du Darfour. Cette enquête, menée sur plus de huit mois, met en lumière des violations flagrantes du droit international humanitaire, notamment l’usage de substances corrosives et mortelles, constituant une transgression grave des traités et lois internationaux par le gouvernement soudanais.

Au moins 30 attaques chimiques depuis janvier 2016
L’enquête s’appuie sur plus de 200 entretiens avec des survivants et témoins, une analyse technique d’images satellite, ainsi que l’expertise d’experts sur les symptômes observés chez les victimes, symptômes correspondant parfaitement à une exposition à des agents chimiques interdits internationalement tels que le « gaz moutarde » et le « lewisite ».

Amnesty International conclut qu’au minimum 30 attaques chimiques ont eu lieu dans la région de Jebel Marra depuis janvier 2016, ces attaques s’inscrivant dans le cadre d’une vaste opération militaire menée par le gouvernement sous le prétexte de lutter contre le groupe armé de l’Armée de libération du Soudan, faction Abdel Wahid Mohamed Nour.

Tirana Hassan, directrice du programme de réponse aux crises chez Amnesty International, déclare :
« Il est difficile d’exprimer l’ampleur et la brutalité de ces attaques. Les images et vidéos que nous avons examinées sont véritablement terrifiantes ; dans l’une d’elles, un enfant hurle de douleur avant de succomber ; de nombreuses images montrent des enfants couverts de blessures et de cloques. »

Victimes : entre mort lente et maladies chroniques
Les estimations font état d’au moins 200 à 250 décès dus à l’exposition à ces substances chimiques, majoritairement des enfants de moins de dix ans. Les survivants présentent des symptômes graves tels que :

  • Vomissements sanglants et diarrhée,
  • Lésions cutanées étendues avec cloques, desquamation et brûlures,
  • Problèmes respiratoires sévères, cause principale des décès,
  • Perte totale ou partielle de la vue,
  • Douleurs persistantes malgré les traitements.

Le rapport rapporte des témoignages poignants, dont celui d’une femme dans la vingtaine : « Quand la bombe est tombée, il y avait des flammes puis une fumée noire… immédiatement, j’ai eu des vomissements et des vertiges… ma peau n’est plus normale. J’ai encore des maux de tête, même après avoir pris des médicaments… mon bébé ne guérit pas… il est enflé, couvert de cloques et de plaies… on nous a dit qu’il allait aller mieux… mais rien n’est arrivé. »

Une autre femme trentenaire du village de Boro a décrit comment la couleur de la fumée a changé après l’explosion, du noir au bleu, et comment tous ses enfants ont souffert de symptômes sévères, notamment vomissements, diarrhée, toux intense, et un noircissement de la peau comme s’ils avaient été brûlés.

Des preuves indiquant l’usage d’armes chimiques interdites
Amnesty International a soumis ses preuves à deux experts indépendants en armes chimiques, qui ont confirmé que les symptômes observés sont compatibles avec une exposition à des agents chimiques corrosifs et brûlants utilisés dans des guerres chimiques.

Tirana Hassan commente : « Cet usage présumé d’armes chimiques ne constitue pas seulement une nouvelle dégradation dans les crimes commis par l’armée soudanaise contre les civils au Darfour, mais marque aussi un nouveau degré d’arrogance envers la communauté internationale. L’utilisation d’armes chimiques est un crime de guerre. »

Destructions massives et violations des droits humains
En plus des attaques chimiques, Amnesty International a documenté des bombardements délibérés de civils, des viols collectifs, des exécutions sommaires, des déplacements forcés et des pillages organisés. Au total, 171 villages ont été détruits ou gravement endommagés durant la campagne militaire, bien que la majorité de ces villages n’aient accueilli aucune présence armée déclarée lors des attaques.

Le rapport souligne que 367 civils, dont 95 enfants, ont été tués durant la première moitié de l’année en cours, tandis que d’autres sont décédés de famine ou faute de soins médicaux, conséquences du siège et des attaques répétées.

Collaboration technologique pour documenter les crimes
Dans une démarche inédite, Amnesty International a collaboré avec le centre SITU Research pour développer une plateforme numérique interactive qui combine images satellite, témoignages et analyses géographiques, afin de mieux documenter les violations dans une zone difficile d’accès.

Tirana Hassan explique : « Le monde a cessé de regarder vers le Darfour, mais les crimes continuent. Terres brûlées, viols collectifs, meurtres, bombardements — ce sont les mêmes crimes de guerre qui ont eu lieu en 2004, lorsque le monde a découvert pour la première fois ce qui se passait là-bas. »

Appels onusiens à une action urgente
Amnesty International exhorte le Conseil de sécurité des Nations unies à :

Contexte : isolement médiatique et obstacles réglementaires aggravant la crise
Jebel Marra représente l’un des environnements humanitaires les plus périlleux au monde. Le gouvernement soudanais impose des restrictions sévères sur l’accès aux journalistes et enquêteurs internationaux, rendant la documentation des violations extrêmement difficile.

Ainsi, Amnesty International a mené 235 entretiens téléphoniques assistés par des intermédiaires locaux, et a contacté plusieurs victimes à plusieurs reprises pour vérifier la cohérence des récits.

Appel à l’action : lancement du projet « Décodage » en 2025

 Dans la continuité de ses efforts pour faire éclater la vérité, Amnesty International a annoncé le lancement d’un nouveau projet nommé « Décodage » la semaine suivant la publication du rapport. Ce projet vise à mobiliser des milliers de volontaires numériques à travers le monde pour analyser des images satellite du Darfour et identifier les villages potentiellement attaqués ou détruits.

L’enquête d’Amnesty International révèle une brutalité systématique à l’encontre des civils du Darfour, avec un recours délibéré et répété aux armes chimiques, constituant une violation grave du droit international et un crime de guerre pour lequel le gouvernement soudanais doit rendre des comptes. Face à l’intensification des violations, la question demeure : le monde restera-t-il silencieux ?

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