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Entre déclarations de l’armée soudanaise et démentis des Forces de soutien rapide : quelle est la vérité sur les événements de Nyala ?


Ces derniers jours, des déclarations contradictoires ont émané des autorités soudanaises à Port-Soudan, affirmant que « l’aéroport de Nyala, au Sud-Darfour, ainsi qu’un avion émirati transportant des mercenaires colombiens avaient été bombardés », peu après l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement dans l’État. Dans le même temps, les Forces de soutien rapide (FSR) ont catégoriquement démenti ces affirmations, les qualifiant de simples « déclarations médiatiques dénuées de toute crédibilité ».

Selon plusieurs observateurs, les affirmations relatives au bombardement de l’aéroport de Nyala ou d’autres sites ne sont étayées par aucune preuve concrète. Aucun cliché, aucune vidéo ni aucun rapport indépendant ne confirment l’incident ou les pertes alléguées. Ces récits pourraient s’inscrire dans un contexte où l’armée soudanaise enregistre des revers militaires sur plusieurs fronts, ce qui soulève des interrogations sur l’objectif réel de leur diffusion à ce moment précis. Les démentis formels des Émirats arabes unis et des FSR, ainsi que l’affirmation que Nyala est protégée par des systèmes de défense aérienne modernes rendant toute incursion extrêmement difficile, placent la responsabilité sur les auteurs de ces récits d’en apporter des preuves irréfutables.

Dans un communiqué transmis à « Sputnik », les FSR ont déclaré : « Ces derniers jours, une campagne de désinformation systématique a été orchestrée par certaines chaînes satellitaires hostiles et des plateformes de réseaux sociaux liées aux vestiges de l’ancien régime. Elles ont, mensongèrement et sans fondement, affirmé que l’armée soudanaise (l’armée des islamistes) avait bombardé l’aéroport de Nyala et d’autres sites autour d’El-Fasher, et que ce bombardement avait causé la mort de combattants étrangers originaires de Colombie. »

Le communiqué poursuit : « Les FSR assurent à leurs partisans dans toutes les régions du Soudan, ainsi qu’au peuple soudanais et à la communauté internationale, que ces allégations sont totalement infondées. Elles font partie d’une guerre médiatique malveillante utilisée par les vestiges du régime pour dissimuler leurs défaites militaires successives, notamment au Kordofan, et détourner l’attention de l’effondrement auquel ils font face après de lourdes pertes en vies humaines et en matériel. »

Les FSR soulignent également que « la ville de Nyala, son aéroport, ses infrastructures vitales et ses zones stratégiques bénéficient d’une protection intégrale et d’une couverture sécuritaire sur l’ensemble des axes, grâce à des forces vigilantes et à des systèmes de défense aérienne récemment renforcés et modernisés, ayant permis de repousser toutes les tentatives précédentes d’incursion ».

Des événements complexes et une crédibilité contestée
Pour la spécialiste soudanaise des affaires africaines et de la résolution des conflits, Lana Mahdi, « les événements de Nyala reflètent une situation d’une grande complexité politique et militaire. Ancien centre économique et administratif du Darfour, la ville s’est transformée en quelques jours en champ de bataille. Le bombardement de l’aéroport et du siège du gouvernement ne constitue pas un incident isolé, mais s’inscrit dans une stratégie d’escalade adoptée par l’armée depuis qu’elle a décidé d’engager la guerre ».

Elle précise : « Les récits de l’armée manquent de crédibilité, cherchant à présenter la situation comme la conséquence d’interventions étrangères ou d’opérations surprises. Or, sur le terrain, les faits montrent que les destructions sont surtout dues à des décisions militaires précipitées, qui ont nui aux civils avant de toucher d’autres acteurs. »

Quant aux accusations selon lesquelles un avion émirati transportant des combattants colombiens aurait été visé, elle estime qu’elles relèvent d’un discours sensationnaliste visant à masquer l’échec du commandement militaire. « La lecture stratégique montre que la crise de Nyala s’inscrit dans une guerre totale menée par l’armée, qui persiste à privilégier l’option militaire plutôt que la voie politique. »

Une stratégie de frappes ciblées
Toujours selon Mahdi : « D’un point de vue d’analyse stratégique, cet épisode n’est pas isolé mais bien aligné sur une politique d’escalade. Le choix de cibles symboliques et la volonté d’infliger des dommages majeurs au cœur de la ville traduisent une intention de paralyser l’administration locale et d’envoyer un message de dissuasion aux forces adverses. »

Un jeu de déclarations contradictoires
Pour le politologue soudanais Walid Ali, « les contradictions dans les déclarations sont fréquentes en temps de guerre : chaque camp cherche à se présenter en position de force. L’annonce d’une avancée par l’un et son démenti rapide par l’autre sont des schémas prévisibles. Les accusations d’attaque contre un avion émirati transportant des mercenaires ou du matériel militaire se sont répétées depuis le début du conflit ».

Il ajoute : « La présence de mercenaires dans une guerre n’a rien d’étonnant. Les conflits ne reposent ni sur des principes ni sur des lois, mais sur la recherche de la victoire par tous les moyens, y compris le recours à des combattants étrangers ou à des armes prohibées. Du côté du soutien rapide, l’armée soudanaise est accusée d’utiliser une aviation étrangère et de s’appuyer sur des mercenaires tigréens, avec un soutien logistique en armes de pays de la région. Accuser l’autre camp d’employer des combattants ou des équipements venus de l’extérieur n’est donc plus un fait marquant, mais une rhétorique récurrente. »

Vers une fracture administrative ?
Ali conclut : « Même si le bombardement aérien de Nyala a bien eu lieu, cela ne change pas la réalité de la situation : les FSR contrôlent toujours la ville et, plus largement, le Darfour, qui semble se diriger vers une séparation administrative. Celle-ci pourrait déboucher, comme au Sud-Soudan, sur une sécession complète — mais cette fois-ci dans un contexte particulièrement sanglant, avec un traumatisme profond pour la société soudanaise. »

Pour rappel, la guerre au Soudan a éclaté le 15 avril 2023 entre l’armée dirigée par Abdel Fattah al-Burhan et les FSR commandées par Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), touchant de vastes zones du pays. Elle a gravement affecté les services de santé, les conditions de vie et exacerbé la crise des déplacés internes et externes. Malgré les tentatives de médiation arabe, africaine et internationale, aucun cessez-le-feu durable n’a pu être instauré.

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