D’El-Béchir à Al-Burhan : le rôle des « Kizans » dans la guerre au Soudan

Les Soudanais utilisent le terme « Kizans » pour désigner l’ensemble des groupes issus de la mouvance des Frères musulmans, bien qu’ils aient porté différents noms au fil des décennies. Cette appellation regroupe tous ces courants sous une même bannière, soulignant que leurs objectifs, leurs pratiques et leur influence sur le pays restent les mêmes, malgré le changement de noms selon les circonstances de chaque époque.
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Aujourd’hui encore, comme à chaque étape de l’évolution du pays, les « Kizans », alliés à l’armée dirigée par Abdel Fattah Al-Burhan, s’opposent à toute tentative de mettre fin à la guerre qui dure depuis deux ans. Car la poursuite du conflit garantit leur survie politique et leur emprise sur le pays. À l’inverse, le retour aux urnes les éloignerait définitivement du pouvoir, comme l’a démontré la première expérience démocratique du Soudan en 1986, lorsque les Frères musulmans n’ont remporté aucun siège. L’une de leurs branches avait obtenu la troisième place après avoir modifié temporairement son programme politique.
Un long passé de métamorphoses
Avant d’être intégrés dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « résistance populaire » – une couverture pour plusieurs groupes islamistes armés issus des Frères musulmans – les mouvements islamistes soudanais ont connu plusieurs phases. D’abord, la conquête du pouvoir, puis trente années de domination, avant un recul progressif lorsque leur légitimité s’est effondrée. Pour les Soudanais, ils ne sont plus que les « Kizans », un terme moqueur dérivé d’une expression d’un de leurs chefs historiques.
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L’idéologie des Frères musulmans s’est implantée au Soudan au milieu des années 1940, avant la fondation officielle d’un mouvement en 1949. Depuis, elle s’est divisée en plusieurs groupes et a adopté différentes appellations : « Front de la charte islamique », « Front islamique nationale », « Congrès populaire arabo-islamique » fondé par Hassan Al-Tourabi, et plus tard le « Congrès national » à travers lequel le président déchu El-Béchir a dirigé le pays pendant trente ans. Al-Tourabi finira par rompre avec lui pour fonder le parti du « Congrès populaire ».
Les scissions entre ces courants répondaient aux besoins politiques du moment. Certains ont tenté d’adopter un discours plus « ouvert », mais tous sont restés impliqués dans la violence politique. Parmi les lois sévères qu’ils ont soutenues figurent celles de l’ancien président Jaafar Al-Nimeiry, qui, encouragé par les islamistes, a imposé des peines extrêmes comme l’amputation. Ces politiques ont plongé le pays dans le chaos, contribuant fortement à la division du Soudan. Elles ont aussi conduit à la chute d’Al-Nimeiry et à un recul temporaire de l’islam politique, avant son retour au pouvoir via le coup d’État d’El-Béchir en 1989. Ce dernier a rapidement écarté l’architecte du putsch, Hassan Al-Tourabi.
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L’extrémisme, allié de l’armée
Les trente années de domination islamiste sous El-Béchir et ses alliés se sont achevées avec un soulèvement populaire. Si ce mouvement a renversé leur régime, il n’a pas permis de stabiliser le pays. Une nouvelle guerre a éclaté, anéantissant les espoirs de transition vers un pouvoir civil. Les mouvements islamistes – sous différents noms – sont restés des acteurs majeurs du conflit, bien que souvent en coulisses.
Al-Burhan, à l’instar d’Al-Nimeiry et d’El-Béchir avant lui, s’est à nouveau allié à ces groupes. Sous la bannière de la « résistance populaire », il a engagé des brigades comme « Al-Baraa Ibn Malek », « Al-Bunyan Al-Marsous », « Sécurité populaire », « L’Éclair foudroyant », « Les soldats de la vérité » et « Les partisans de l’État de la charia », toutes liées à l’islam radical.
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D’après une étude de l’Institut supérieur des études internationales de Genève, Al-Béchir avait formellement créé les « Forces de défense populaire » en novembre 1989. Comptant près de 100 000 combattants, elles furent dissoutes en 2020 et intégrées comme forces de réserve au ministère de la Défense.
Ces mouvements islamistes, après avoir aidé à faire tomber le gouvernement de Sadiq Al-Mahdi, ont également sabordé les tentatives du peuple soudanais d’instaurer un pouvoir civil après la chute d’El-Béchir. Non seulement Al-Burhan a confié à ces groupes des rôles clés dans l’appareil militaire, mais il les a aussi envoyés au front dans une guerre qui a plongé la majorité des Soudanais dans la pauvreté, causé la mort de dizaines de milliers de personnes et déplacé des millions d’autres.