De New York à Laâyoune : comment la diplomatie marocaine a manœuvré en coulisses pour obtenir un vote du Conseil de sécurité en faveur de l’autonomie
Le dernier vote du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur du plan marocain d’autonomie pour le Sahara marocain n’a pas été une simple étape diplomatique dans un conflit ancien. Derrière cette décision se cache un long processus fait de tractations précises, d’échanges confidentiels et de négociations discrètes, qui ont redéfini les équilibres diplomatiques au sein des Nations unies. Notre enquête retrace les dessous de cette dynamique, des bureaux feutrés de New York aux capitales influentes comme Washington, Paris et Madrid, jusqu’aux provinces du Sud où le projet marocain prend forme concrètement.
Les démarches intensives ont débuté plusieurs mois avant le vote, lorsque le ministère marocain des Affaires étrangères a lancé un plan d’action méticuleux connu sous le nom de « trajectoire parallèle ». L’objectif était de créer un élan à plusieurs niveaux : officiel à travers les représentations diplomatiques, et officieux par des canaux économiques, humanitaires et médiatiques. Le message était clair : prouver que l’autonomie n’est pas un slogan politique, mais une réalité de développement et d’inclusion.
Selon des sources onusiennes, la délégation marocaine auprès de l’ONU a joué un rôle central dans la formulation du discours diplomatique ayant convaincu plusieurs pays hésitants. Plutôt que de se limiter à une argumentation juridique, Rabat a privilégié « le langage des intérêts partagés », soulignant que l’autonomie au Sahara marocain serait un pilier de stabilité pour l’Afrique du Nord et le Sahel — une région désormais au cœur des préoccupations mondiales en matière de terrorisme et de migration irrégulière. Cet argument pragmatique a trouvé un écho fort à Washington, Paris et Madrid, qui ont vu dans le plan marocain une solution de stabilité régionale.
À Washington, des sources diplomatiques confirment qu’une série de rencontres non publiques a eu lieu entre de hauts responsables marocains et des membres du Conseil de sécurité nationale et du département d’État américain. Le message du Maroc était constant : rappeler la solidité du partenariat stratégique entre Rabat et Washington, notamment dans la lutte antiterroriste et la coopération sécuritaire au Sahel. Un diplomate américain affirme que « le Maroc a parlé en partenaire, pas en demandeur », ajoutant que son plan correspond à la nouvelle doctrine américaine fondée sur le soutien à des solutions réalistes plutôt qu’à des revendications séparatistes déstabilisatrices.
À Paris, la stratégie marocaine a été plus subtile. La France, traditionnellement proche du Maroc, traversait une phase politique intérieure délicate, rendant ses positions plus prudentes. Rabat a alors misé sur la diplomatie parlementaire et culturelle pour raviver un discours favorable au sein de la classe politique française. Des rencontres ont été organisées à l’Assemblée nationale et dans plusieurs think tanks parisiens pour présenter le plan d’autonomie comme une forme de gouvernance avancée, et non comme un compromis politique. Ces efforts ont permis de consolider le soutien français dans les jours précédant le vote.
L’enquête menée par Sky News Arabia révèle aussi le rôle croissant de l’Espagne, qui a pesé dans la balance en faveur du Maroc. En mars 2022, Madrid a officiellement soutenu le plan marocain, le qualifiant de « base la plus sérieuse et la plus réaliste » pour une solution durable. Ce revirement a bouleversé la dynamique au sein du Conseil de sécurité : il a mis fin à ce que les diplomates appelaient le « triangle gris », formé de pays européens qui restaient neutres sans s’opposer à Rabat. Avec l’Espagne dans le camp marocain, d’autres capitales européennes ont trouvé un appui politique pour faire de même.
Mais c’est en Afrique que le Maroc a mené son travail le plus structurant. Depuis 2018, Rabat a renforcé sa présence au sein de l’Union africaine pour empêcher que le dossier saharien ne soit instrumentalisé. Grâce à une diplomatie économique et coopérative, le royaume a consolidé des alliances solides avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Tchad, qui figurent aujourd’hui parmi ses soutiens les plus constants à l’ONU. Un ambassadeur africain résume : « Le Maroc ne vient pas en Afrique pour chercher des voix, mais pour proposer des solutions. C’est cette approche qui rend son soutien légitime et naturel. »
Des documents internes de l’ONU confirment que plusieurs États membres ont salué la « vision réaliste du Maroc », reprenant les mêmes termes que ceux employés dans les discours officiels de Rabat : « réalisme, consensus et durabilité ». Ce glissement lexical s’est reflété dans le texte final de la résolution onusienne, qui qualifie le plan d’autonomie de « base la plus sérieuse et la plus crédible pour une solution politique ».
L’Algérie et le Front Polisario ont bien tenté une contre-offensive diplomatique, cherchant à rallier certains membres non permanents du Conseil, tels que le Mozambique ou la Bolivie. Mais selon plusieurs sources, ces démarches n’ont eu que peu d’effet, la communauté internationale se montrant de plus en plus sceptique face aux thèses séparatistes. Les campagnes médiatiques agressives ont, paradoxalement, renforcé la position du Maroc, qui s’est présenté comme l’acteur le plus mesuré et institutionnel.
Au-delà du politique, la dimension économique a aussi pesé. Des rapports internes de l’ONU indiquent que les provinces du Sud connaissent une croissance rapide et que Laâyoune et Dakhla se sont imposées comme des hubs d’échanges entre l’Afrique et l’Europe. Cette dynamique concrète a renforcé la perception du projet marocain comme un modèle de développement territorial et non comme une abstraction juridique.
Les diplomates présents lors du vote soulignent que l’intervention du représentant permanent du Maroc à l’ONU a été décisive. Il a présenté un exposé précis, appuyé de cartes, chiffres et rapports, illustrant les progrès réalisés dans les domaines de l’éducation, des infrastructures et de la gouvernance locale. L’un d’eux témoigne : « Ce discours ressemblait plus à un rapport d’évaluation qu’à une plaidoirie politique. »
En parallèle, la diplomatie parallèle marocaine s’est mobilisée : intellectuels et universitaires ont participé à des conférences internationales pour présenter des études comparatives sur les modèles d’autonomie dans le monde, de l’archipel des Açores au Groenland. Ces contributions ont contribué à crédibiliser la démarche marocaine auprès des instances internationales.
La veille du vote, des consultations à huis clos ont permis d’arrêter la version finale du texte, sous la pression conjointe de Washington et de Paris, désireuses d’éviter toute modification. Lorsque la session publique s’est ouverte, tout était déjà décidé. Le résultat, accueilli avec une satisfaction discrète, a marqué la fin d’une longue bataille diplomatique.
Mais pour Rabat, cette victoire n’est qu’une étape. Le gouvernement marocain a déjà annoncé un plan de renforcement de la régionalisation avancée dans les provinces du Sud, assorti de projets d’investissement dépassant 80 milliards de dirhams. Ces initiatives visent à transformer le soutien politique en réalité territoriale et à consolider la stabilité régionale.
Aujourd’hui, après des décennies de débats, le Sahara marocain entre dans une phase décisive. Ce succès diplomatique n’est pas un hasard, mais le fruit d’une stratégie fondée sur la constance, la patience et la crédibilité. De New York à Laâyoune, le Maroc démontre qu’en diplomatie, la véritable force réside dans la maîtrise du temps, la rigueur du discours et la cohérence de l’action.
