Al-Burhan entre les islamistes et l’État : une alliance de nécessité devenue un fardeau politique
Le Soudan traverse une phase critique où s’entremêlent les fils politiques et militaires, rendant la scène intérieure plus complexe que jamais. Le général Abdel Fattah al-Burhan, propulsé au premier plan après la chute du régime d’Omar el-Béchir, se retrouve aujourd’hui confronté à un double défi : une guerre acharnée contre les Forces de soutien rapide d’une part, et la rupture progressive de son alliance avec le courant islamiste d’autre part.
Cette rupture, loin d’être passagère, s’annonce comme un tournant stratégique dans l’équilibre des forces au sein de l’institution militaire et politique, menaçant l’unité du commandement et accentuant l’isolement interne et externe d’al-Burhan.
Les racines d’une relation entre tactique et méfiance
Dès le début du conflit, al-Burhan a cherché à mobiliser les islamistes dans sa lutte contre les Forces de soutien rapide. Après avoir prôné l’exclusion des « restes de l’ancien régime », il s’est rapidement appuyé sur les figures du mouvement islamique pour organiser, financer et encadrer médiatiquement la guerre.
Cette relation n’a pourtant jamais dépassé le stade tactique.
Les islamistes, voyant dans la guerre une occasion de reconquérir une influence perdue depuis la révolution de décembre 2019, ont vite compris qu’al-Burhan ne leur accordait qu’un rôle limité, les utilisant comme instrument conjoncturel de légitimation militaire.
Le mécontentement s’est donc installé à mesure qu’al-Burhan prenait des décisions contraires à leurs intérêts ou réduisant leur influence institutionnelle.
Les mesures d’al-Burhan : des messages adressés à l’intérieur et à l’extérieur
Ces derniers mois, al-Burhan a pris une série de décisions présentées comme « réformatrices », mais perçues comme hostiles par les islamistes.
Il a écarté plusieurs officiers d’obédience islamiste de postes sensibles et restructuré les services de sécurité de manière à limiter leur domination historique.
Par ailleurs, il a ordonné le gel de certaines associations et entités économiques soupçonnées de financer des activités politiques islamiques, cherchant à se présenter à la communauté internationale comme un dirigeant « national, non idéologique ».
Ces mesures ont été interprétées par les islamistes comme une trahison, une tentative de séduire les puissances étrangères au détriment du partenariat local.
Cependant, cette stratégie n’a pas permis à al-Burhan de regagner la confiance des capitales occidentales, qui continuent de le considérer comme partie prenante du problème soudanais plutôt que comme un acteur de la solution.
Les divisions internes des islamistes : entre confrontation et attente
Au sein du mouvement islamique, deux courants se dessinent : l’un prône la confrontation ouverte avec al-Burhan et la rupture de l’alliance, tandis que l’autre plaide pour la patience, espérant que l’affaiblissement progressif du général sur le terrain l’obligera à céder du terrain politique.
Des sources internes rapportent des accusations de compromission entre certaines figures islamistes et al-Burhan, en échange d’avantages personnels ou de promesses d’avenir.
Cette division interne affaiblit la cohésion du mouvement et limite sa capacité de négociation, situation dont al-Burhan profite pour renforcer sa position au sein de l’armée.
El-Fasher : un tournant décisif
La chute de la ville d’el-Fasher a marqué un point de rupture entre al-Burhan et ses alliés islamistes.
De nombreux cadres religieux et militaires ont accusé le commandement de l’armée d’incompétence et de marginalisation des officiers islamistes, estimant que cette défaite était davantage le fruit d’une « trahison interne » que d’un revers tactique.
Depuis, la méfiance s’est accentuée : les islamistes considèrent désormais al-Burhan comme un dirigeant opportuniste, prêt à les abandonner dès que la conjoncture l’exige.
Al-Burhan sous le feu des critiques
En plus du mécontentement islamiste, al-Burhan fait face à une défiance régionale et internationale croissante.
Ses revirements politiques, ses alliances éphémères et ses messages contradictoires ont semé le doute dans les capitales étrangères.
Au Caire et à Abou Dhabi, l’on parle désormais ouvertement de la « difficulté de miser sur un dirigeant au positionnement aussi incertain », tandis qu’à Ankara et à Doha, on critique ses efforts pour marginaliser les islamistes, considérés comme des partenaires clés lors des premières phases de la guerre.
L’érosion de l’alliance et la recherche d’alternatives
Face à cette perte de confiance, certaines figures islamistes explorent de nouvelles alliances en dehors de l’armée.
Des rapports locaux évoquent des contacts entre des dirigeants islamistes et des chefs de mouvements armés au Darfour, suggérant la formation de coalitions alternatives.
De son côté, al-Burhan tente de bâtir un front national élargi regroupant civils, chefs tribaux et indépendants, dans le but de se présenter comme le leader de « tous les Soudanais ».
Mais cette initiative se heurte à la résistance des islamistes, qui y voient une tentative d’exclusion sous couvert d’unité nationale.
Des répercussions sur l’armée
Cette crise politique a contaminé les rangs de l’armée, où un clivage s’installe entre officiers islamistes et « nationalistes ».
Des cas de refus d’obéissance ont été signalés, et certains officiers écartés pour leurs liens présumés avec le mouvement islamique auraient entamé des contacts avec d’anciens cadres en exil.
Cette situation fait craindre un effritement silencieux de l’institution militaire, dont la cohésion dépend désormais de la capacité d’al-Burhan à restaurer la confiance.
Lecture prospective
Al-Burhan se trouve pris dans une impasse : s’il écarte les islamistes, il risque la rébellion interne ; s’il les garde, il perd le soutien international.
Les islamistes, eux, oscillent entre incapacité d’affrontement et refus de soumission.
Tandis que la guerre s’enlise et que l’État s’affaiblit, le Soudan entre dans une phase de recomposition où les alliances se redéfinissent selon la logique du pouvoir, non de l’idéologie.
Ce qui se jouait dans l’ombre s’expose désormais au grand jour : fuites, discours divergents et guerre médiatique confirment la rupture.
Al-Burhan, qui croyait instrumentaliser les islamistes, est devenu prisonnier d’un partenariat devenu fardeau.
Et les islamistes, pensant retrouver leur puissance perdue, découvrent qu’ils ont misé sur un allié qui ne croit qu’à la survie du moment.
Entre eux, un pays exsangue, en guerre, en crise économique et institutionnelle.
Le Soudan entre dans une phase de clarification brutale : celle où l’avenir se jouera entre ceux qui veulent construire un État national et ceux qui rêvent de restaurer l’État idéologique du passé.
