Politique

Affrontement reporté au Soudan : une bataille d’influence et de loyauté entre l’armée et ses alliés


Au cœur d’un pays ravagé par la guerre, une nouvelle confrontation semble imminente. Mais cette fois, elle n’oppose pas des ennemis traditionnels, elle menace d’éclater entre des partenaires supposés, réunis jusqu’ici dans le même camp.

Khartoum, ville encore marquée par les stigmates du conflit, vacille désormais sous le poids de tensions internes grandissantes. Alors que les efforts se poursuivent pour permettre le retour des déplacés, une lutte silencieuse se déroule dans les coulisses de la capitale : une bataille d’influence, de légitimité et de contrôle, opposant l’armée soudanaise aux forces alliées dites « communes ».

Officiellement, le discours est celui de la reconstruction et du retour à la normalité. Mais en réalité, une inquiétude sourde monte : celle que Khartoum devienne le théâtre d’un affrontement inévitable.

Le commandant Mohamed Nour Abou Khalaf, secrétaire général du commandement central des officiers retraités soudanais, dresse un tableau sombre des relations entre l’armée et les forces alliées qui l’ont appuyée dans sa lutte contre les Forces de soutien rapide (FSR).

Selon lui, cette alliance n’était que de circonstance, dictée par les nécessités militaires du moment. Aujourd’hui, elle semble devenir une bombe à retardement, prête à exploser.

Une alliance fragile sur les cendres du Darfour

Pour Abou Khalaf, les tensions ne datent pas d’hier. Elles sont alimentées depuis des mois par des différends latents, notamment après la perte par l’armée de quatre États du Darfour, toujours sous blocus des FSR, malgré l’appui aérien fourni aux forces alliées.

Cette incapacité opérationnelle a érodé la confiance de l’armée envers ses partenaires. Des voix internes, en particulier celles liées à l’organisation des Frères musulmans, appellent désormais à leur retrait de Khartoum et des autres villes reprises.

L’armée subit également la pression de plusieurs régions du centre, de l’est et du nord du pays, qui accusent les forces alliées de vouloir s’approprier les ressources économiques nationales.

En réaction, les responsables de ces forces dénoncent un processus de marginalisation et de diabolisation, alors qu’ils poursuivent depuis avril 2023 des missions de combat actives.

L’évacuation de Khartoum : une décision controversée

Le 18 juillet, un délai de deux semaines a été lancé par le général Abdel Fattah al-Burhan pour vider la capitale de toutes les forces armées non régulières. Présenté comme une initiative pour restaurer la vie civile, ce plan a pourtant suscité une vive polémique, notamment au sein des forces alliées, qui affirment ne pas avoir été consultées.

Malgré la formation d’un comité présidé par le général Ibrahim Jaber, membre du Conseil de souveraineté, des doutes subsistent sur les intentions réelles de cette démarche. Des rapports évoquent des incidents sécuritaires impliquant des hommes armés, soupçonnés d’appartenir aux forces en question, dans des quartiers de Khartoum et Omdurman.

Une opposition ouverte des forces alliées

Le chef du Mouvement de libération du Soudan, Mini Arko Minawi, également superviseur des forces communes, a démenti toute notification officielle. Selon lui, les trois bataillons stationnés à Khartoum n’ont reçu aucun ordre de redéploiement ou de retrait.

En réponse aux accusations d’abus contre les civils, le commandement des forces alliées a publié des photos de deux individus arrêtés pour avoir usurpé l’identité de ses membres afin de commettre des crimes. Ils ont été remis aux services de renseignement de l’armée.

Dérive politique et perte de contrôle

Abou Khalaf estime que l’armée a perdu le contrôle de certains de ses alliés, dont plusieurs chefs ambitionnent désormais un rôle politique et économique, profitant du pouvoir militaire acquis pendant la guerre.

Il souligne que ces groupes ont été autorisés à recruter dans leurs bastions tribaux et à gérer des ressources publiques, comme l’a montré l’échec du Premier ministre à reprendre les ministères des Finances et des Mines aux mouvements armés à Port-Soudan.

Pour lui, cette expansion est symptomatique d’une faiblesse structurelle du commandement militaire, désormais incapable de réorganiser sa relation avec les anciens alliés de terrain.

Une bataille à Khartoum : inévitable mais différée

Khartoum semble se diriger vers une confrontation ouverte entre l’armée et ses anciens alliés, particulièrement en raison de l’incapacité persistante à reprendre le Darfour ou à lever le siège sur El-Fasher.

Abou Khalaf avertit que cet affrontement est retardé depuis la reprise de Khartoum par l’armée. Il pourrait éclater à tout moment, notamment si les tensions internes s’aggravent, offrant une opportunité aux ennemis communs.

Il conclut sur une mise en garde : les Frères musulmans, encore influents au sein de l’armée, pourraient exploiter cette crise pour accentuer les divisions internes et faire de Khartoum le théâtre d’un nouveau conflit, empêchant ainsi toute solution politique durable.

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