Politique

Un livre explore les racines du terrorisme : Sayyid Qutb, l’ingénieur de l’islamisme radical


Un nouveau livre de la chercheuse canadienne Mounia Aït Kabboura a suscité la controverse en proposant une lecture critique de la pensée de Sayyid Qutb, l’un des principaux idéologues des Frères musulmans et une référence majeure pour les mouvements extrémistes.

Publié par les Presses de l’Université de Montréal sous le titre « Sayyid Qutb, l’ingénieur de l’islamisme radical », l’ouvrage compte 226 pages et a été présenté par le journal Le Monde, qui le décrit comme l’une des études les plus complètes sur l’évolution de la pensée qutbienne et sa transformation en source directe de violence religieuse.

Le quotidien français rappelle que Sayyid Qutb (1906-1966), exécuté en Égypte pour complot contre l’État, a profondément marqué l’histoire de l’islam politique moderne, non seulement au sein des Frères musulmans, mais aussi dans l’idéologie terroriste mondiale.

En tant que principal théoricien du mouvement, Qutb a élaboré des concepts toujours présents dans le discours des organisations extrémistes, notamment la souveraineté absolue de Dieu au détriment de celle des hommes, la dénonciation des sociétés modernes comme « jahiliennes » (ignorantes), et la conception du conflit avec l’Occident comme une « lutte existentielle » plutôt qu’un simple désaccord idéologique.

Selon l’étude, ses écrits — en particulier Signes de piste (Ma’alim fi al-Tariq) — ont contribué à la transition du conflit politique vers ce qu’il a appelé le « djihad armé », devenant ainsi une référence doctrinale pour des groupes comme Al-Qaïda et l’État islamique.

Une lecture critique

Mounia Aït Kabboura révèle que la radicalisation de Qutb n’est pas uniquement le produit de la prison et de la torture, mais le résultat d’une évolution intellectuelle interne articulée autour de quatre axes :

Première idée : l’identité fermée

L’auteure souligne que Qutb avait commencé comme critique littéraire ouvert, avant d’adopter une vision fondée sur une identité unique et rigide, refusant la différence et divisant le monde entre « nous » et « eux », ouvrant ainsi la voie à un discours d’exclusion et de haine.

Deuxième idée : l’orientalisme inversé

Initialement admiratif de l’Occident, Qutb en est venu à le considérer comme « l’autre absolu ». Selon la chercheuse, il a reproduit les mêmes stéréotypes que l’orientalisme classique, mais les a retournés contre le monde moderne dans son ensemble — y compris contre les sociétés musulmanes, qu’il a qualifiées d’idolâtres et d’ignorantes.

Troisième idée : la vérité émotionnelle plutôt que rationnelle

L’étude explique que Qutb a cherché à remplacer le raisonnement dialectique par l’« émotion spirituelle », à travers ce qu’il appelait la « représentation artistique du Coran », où la vérité se ressent plutôt qu’elle ne se discute.

Ce mode de connaissance, selon l’auteure, ouvre la voie à une réception non critique et à la soumission aux textes dogmatiques.

Quatrième idée : la raison fermée

Aït Kabboura estime que Qutb a adopté une rationalité « arabo-islamique » refermée sur elle-même, dominée par le mythe et le raisonnement analogique plutôt que par l’analyse logique. Ce cadre intellectuel constitue, selon elle, un terrain fertile pour la production d’une pensée extrémiste.

La valeur de l’ouvrage réside dans sa lecture globale de l’œuvre de Qutb, reliant critique littéraire, esthétique coranique et théologie politique, afin d’offrir une interprétation cohérente de la transformation d’un écrivain et poète en théoricien de la violence religieuse.

En mettant l’accent sur la « représentation artistique », le livre propose également une approche originale rarement explorée dans les études antérieures sur Qutb.

L’ouvrage situe ainsi Sayyid Qutb comme le « père intellectuel » des courants extrémistes contemporains, offrant une explication académique de la manière dont un discours religieux réformiste a fini par devenir une doctrine totalisante légitimant la violence, classant les sociétés selon la foi et l’incroyance, et justifiant les actes terroristes.

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