Al-Sadr et Al-Sistani… une rencontre qui rebat les cartes avant les élections législatives en Irak

Une rencontre à Najaf entre le chef du courant national chiite (anciennement courant sadriste), Moqtada al-Sadr, et le grand ayatollah Ali al-Sistani a redessiné les équilibres sur la scène chiite irakienne.
Selon des sources politiques irakiennes, cette réunion est perçue comme un signe d’entrée de l’Irak dans une phase politique particulièrement sensible à quelques semaines des élections législatives prévues en novembre prochain, dans un climat marqué par la crainte d’un retour des manifestations populaires sous la bannière du courant sadriste ou des forces civiles issues du mouvement d’Octobre.
Préparatifs pour de larges manifestations
Des sources internes au courant sadriste ont indiqué que Moqtada al-Sadr a informé le marja‘ Ali al-Sistani de l’existence de préparatifs pour d’immenses manifestations prévues le 25 octobre, en signe de protestation contre les élections législatives fixées au 11 novembre.
Ces sources précisent que Sadr cherche à coordonner en amont avec des centres religieux de Najaf et des conseils tribaux afin de garantir un mouvement pacifique et discipliné, centré sur le rejet de ce qu’il qualifie « d’irrégularités politiques »
entachant le processus électoral, soulignant que la participation de son courant ne se ferait pas « à travers des urnes suspectes ».
Selon des informations exclusives, des réunions ont déjà eu lieu dans plusieurs zones densément peuplées considérées comme bastions sadristes, dont Tamimiya, Rabit, Hayaniya et Ashar, ainsi que dans le nord de Bassorah, afin d’organiser des manifestations coordonnées dénonçant la performance du gouvernement et le processus électoral à venir.
Messages politiques à la marja‘iyya
La même source a ajouté qu’al-Sadr a précisé devant al-Sistani que ces protestations exprimeront « une position populaire » rejetant les candidats perçus comme cherchant à « renforcer le projet de corruption ou affaiblir la marja‘iyya et le madhhab », et qu’il a demandé au marja‘ « d’émettre une fatwa ou une orientation s’il juge cela nécessaire dans l’intérêt général ».
Bien que le bureau d’al-Sistani n’ait publié aucun commentaire officiel sur l’entretien, des observateurs estiment que cette démarche ravive la mémoire des appels du courant sadriste à manifester, soulevant des interrogations sur l’avenir politique immédiat et la possibilité d’un affrontement accru entre le courant et les forces de l’État central.
Dans le même temps, l’absence de toute affiche électorale dans les zones traditionnellement acquises au courant sadriste, notamment à Bagdad dans les quartiers de Sadr City et de Shaoula, témoigne du refus de ses partisans de s’engager dans le scrutin.
Le bureau d’al-Sadr n’a diffusé aucun communiqué officiel sur le contenu de la rencontre, mais des sources proches de la marja‘iyya ont indiqué que les discussions portaient sur la situation politique actuelle, la position du courant à l’égard des élections, ainsi que sur les manifestations en préparation dans le sud et la capitale.
Position tranchée sur le sommet de Charm el-Cheikh
En marge de la participation du Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani au « Sommet pour la paix » organisé à Charm el-Cheikh, al-Sadr a vivement critiqué les partis chiites au pouvoir, qualifiant la présence irakienne à ce sommet de « honte » et estimant qu’elle représentait « une préparation à la normalisation ou une reconnaissance implicite de la solution à deux États », interdite par la loi irakienne.
Dans un message publié sur X, al-Sadr a déclaré : « Seigneur, je désavoue par avance cet acte », exprimant son rejet catégorique de tout processus politique pouvant mener à un rapprochement avec Israël ou à l’adoption du plan américain de règlement au Moyen-Orient.
Précédemment, al-Sadr avait déjà ordonné le boycott de 78 candidats affiliés à son courant ayant participé aux élections législatives sous des listes chiites, les accusant de « chercher à affaiblir le madhhab honorable, de s’opposer au projet de réforme et de renforcer la corruption ».
Al-Sudani défend la participation
Le gouvernement irakien, de son côté, a défendu la participation d’al-Sudani au sommet de Charm el-Cheikh, qui a réuni plus de trente pays sous la présidence des présidents américain Donald Trump et égyptien Abdel Fattah al-Sissi, afin d’annoncer un plan de paix pour mettre fin à la guerre à Gaza.
Le porte-parole du gouvernement, Basem al-Awadi, a déclaré à la télévision publique que la présence de l’Irak « confirme son rôle central au Moyen-Orient », précisant qu’al-Sudani a souhaité « être au cœur des discussions internationales » pour obtenir une vision directe des accords portant sur l’avenir de la cause palestinienne.
Al-Awadi a réaffirmé la position « constante » de Bagdad en soutien au peuple palestinien, soulignant que le sommet visait « à arrêter les combats et reconstruire Gaza » et qu’il n’impliquait aucun accord bilatéral ou politique portant atteinte aux principes irakiens.
Division interne autour de la participation
Hassan Ali al-Daraji, candidat de la coalition de reconstruction et de développement dirigée par al-Sudani, a affirmé que « la poignée de main d’al-Sudani avec le président Trump ne représente pas une normalisation », précisant que « tous les Premiers ministres irakiens depuis 2006 ont rencontré leurs homologues américains, ce qui ne signifie pas une adhésion à la politique de Washington ni un renoncement aux constantes nationales ».
Selon des analystes, la visite d’al-Sadr auprès d’al-Sistani pourrait préparer la relance d’un mouvement populaire encadré religieusement et politiquement, dans un contexte de mécontentement croissant lié à la situation économique et aux accusations persistantes de corruption et de faiblesse de l’action gouvernementale.