Politique

‘’J’ai fait semblant d’être mort pour survivre’’: comment les files d’attente pour le pain à Gaza se sont transformées en cimetières


À Gaza, mourir de faim n’est plus une figure de style. En moins de trois mois, des centaines de personnes ont été tuées. Parmi les survivants, certains ont dû simuler leur mort pour échapper aux balles.

Ces décès ne sont pas uniquement dus aux bombardements, mais aussi à la faim. Les files d’attente pour l’aide humanitaire se sont muées en pièges mortels.

Rien que ces deux derniers jours, plus de 100 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza alors qu’elles tentaient de récupérer de la nourriture sur les lieux de distribution. Depuis l’assouplissement partiel du blocus fin mai, près de 800 personnes auraient péri, selon des données des Nations unies et du ministère de la Santé local.

Dans le sud du territoire, la Défense civile a signalé la mort de neuf personnes près d’un centre de distribution à Al-Shakoush, au nord-ouest de Rafah, et de quatre autres près du rond-point Al-Tahlia, à l’est de Khan Younès.

Samedi, plus de trente personnes ont trouvé la mort, abattues par l’armée israélienne alors qu’elles attendaient de la nourriture près d’un site de distribution à Rafah.

Le lendemain, la tragédie s’est répétée : des dizaines de personnes ont été tuées près d’un centre géré par des sous-traitants américains avec le soutien d’Israël et des États-Unis, à proximité du point de passage de Zikim, au nord de la bande de Gaza.

Le ministère de la Santé et la Défense civile de Gaza ont rapporté que le bilan s’élevait à 80 morts pour la journée de dimanche, en plus des 32 décès de samedi.

Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a indiqué qu’un convoi humanitaire de 25 camions, transportant de la nourriture vers le nord de Gaza, avait été confronté à une foule affamée, ciblée par des tirs peu après avoir franchi les points de contrôle israéliens.

La guerre et le blocus israélien ont plongé les plus de deux millions d’habitants de Gaza dans une situation proche de la famine, selon l’ONU et plusieurs ONG internationales.

Les tueries de civils attendant de l’aide sont devenues quasi quotidiennes. Des sources locales et témoins accusent Israël d’ouvrir le feu sur les foules, notamment près des centres gérés par la « Fondation humanitaire de Gaza », soutenue par Tel-Aviv et Washington.

Des charrettes tirées par des chevaux acheminent des blessés et des cadavres à l’hôpital Nasser, à Khan Younès.

Qui gère l’aide ?

La « Fondation humanitaire de Gaza », créée par Israël avec le soutien des États-Unis, gère quatre principaux points de distribution. Des milliers de Palestiniens s’y rendent chaque matin à l’aube, malgré les risques, dans l’espoir de recevoir de la nourriture.

Lancée en mai, l’initiative est censée canaliser l’aide humanitaire loin de l’influence du Hamas. Mais des ONG ont critiqué ce dispositif, estimant qu’il viole les principes fondamentaux de neutralité et d’indépendance de l’action humanitaire.

La fondation affirme que les violences n’ont pas eu lieu dans ses centres, mais à proximité, avant l’ouverture des points de distribution. Elle précise que la faim pousse les gens à arriver sur place des heures à l’avance.

Pas un cas isolé

Plusieurs incidents sanglants ont été recensés récemment, allant de tirs directs à des bousculades meurtrières.

Début juillet, au moins 20 personnes ont péri dans une cohue près d’un centre de distribution. Une frappe aérienne israélienne près d’une clinique gérée par une organisation humanitaire américaine a également tué plus de douze personnes, selon des responsables palestiniens et humanitaires.

En juin, plus de 100 Palestiniens ont été tués en quatre incidents distincts impliquant les forces israéliennes, d’après le ministère de la Santé à Gaza.

Les opérations humanitaires des Nations unies sont elles-mêmes fortement entravées par le manque de sécurité et de ravitaillement, dans un contexte d’aggravation extrême de la crise humanitaire.

Le drame de dimanche, bien qu’il ait eu lieu près d’un poste frontalier et non à l’intérieur d’un centre, met en lumière les risques extrêmes auxquels sont confrontés les civils. D’après le New York Times, ces événements illustrent la volonté d’Israël de redessiner le système de distribution de l’aide dans un territoire ravagé par la guerre.

Réaction d’Israël à la dernière tragédie

Israël fait face à une condamnation internationale croissante en raison des restrictions imposées à l’acheminement de l’aide destinée à deux millions de personnes dans la bande de Gaza, poussant la population au bord de la famine.

Dimanche, l’armée israélienne a déclaré que ses soldats avaient tiré des « coups de semonce » après que des milliers de personnes se sont rassemblées dans le nord de Gaza, affirmant qu’il s’agissait de neutraliser « une menace directe ». Elle a ajouté que le nombre de victimes rapporté ne correspondait pas à son évaluation initiale.

La veille, l’armée avait publié un communiqué affirmant que ses troupes, positionnées à environ 1000 yards (environ 900 mètres) d’un point de distribution, avaient tiré des avertissements en matinée, avant l’ouverture du centre, lorsque des civils s’étaient approchés sans obéir aux ordres de s’arrêter.

De son côté, la Fondation humanitaire de Gaza a affirmé qu’« aucun incident ne s’est produit dans ou à proximité de nos centres de distribution aujourd’hui ». Toutefois, elle a reconnu que des violences meurtrières s’étaient produites « plusieurs heures avant l’ouverture » de ses sites.

Bien que la fondation ait recommandé aux civils d’éviter les lieux avant leur ouverture, beaucoup s’y rendent dès l’aube, certains marchant pendant des heures, en raison de la rareté extrême des denrées et de la rapidité avec laquelle les stocks s’épuisent.

Faire semblant d’être mort

Louay Abou Ouda, 24 ans, a raconté au New York Times comment il a survécu à l’attaque de samedi : « C’est devenu une routine quotidienne terrifiante. Je me suis effondré au sol et j’ai feint la mort juste pour rester en vie. Je n’ai même pas pu sortir mon téléphone pour voir l’heure. »

À Khan Younès, la petite Amina Wafi a résumé la détresse en une phrase adressée à l’AFP : « J’ai très faim. J’ai peur de mourir de faim. »

Qu’est-ce que la Fondation humanitaire de Gaza ?

Créée par Israël avec un soutien diplomatique et financier des États-Unis, elle est gérée par des sous-traitants privés américains, avec une présence militaire israélienne aux abords, assurant la sécurité des lieux.

Des responsables israéliens affirment que cette fondation a pour but de permettre une distribution d’aide qui ne profite pas au Hamas, accusé de détourner systématiquement l’aide humanitaire et d’empêcher sa distribution équitable aux civils.

Mais pour de nombreuses organisations de défense des droits humains, cette approche viole les normes humanitaires internationales.

Dans une déclaration conjointe publiée le mois dernier, 15 ONG de différents pays ont dénoncé ce modèle « militarisé » et sa « collaboration étroite avec les autorités israéliennes », estimant qu’il « compromet les principes fondamentaux d’humanité, de neutralité, d’intégrité et d’indépendance ».

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies convoquée la semaine dernière à l’initiative du Royaume-Uni, du Danemark, de la France, de la Grèce et de la Slovénie pour discuter de la crise à Gaza, les États-Unis ont défendu le nouveau dispositif et accusé les organisations humanitaires qui le rejettent de ne pas assumer leurs responsabilités.

Une goutte d’eau dans l’océan

Des responsables onusiens ont indiqué que la distribution de l’aide dans les entrepôts et boulangeries à Gaza est gravement entravée par l’absence de routes sûres, si bien que seules de très petites quantités de nourriture atteignent la population.

Tom Fletcher, chef de l’Agence humanitaire des Nations unies, a déclaré lors de cette réunion du Conseil de sécurité que les aides qui parviennent actuellement à Gaza « ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins ».

Il a ajouté : « Les besoins humanitaires grandissants à Gaza doivent être satisfaits sans exposer davantage la population au feu des combats. »

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