Où va l’Ouest libyen ? Des scénarios ouverts pour l’avenir du conflit

Entre des fissures qui secouent le système de pouvoir et un mécontentement populaire croissant, Tripoli émerge aujourd’hui comme l’épicentre des tensions et des transformations en Libye occidentale.
Ces mutations ouvrent la voie à une multitude de scénarios possibles pour l’avenir du conflit dans cette région politiquement et sécuritairement complexe.
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Des experts s’accordent à dire que « Tripoli se trouve à un carrefour décisif : entre une opportunité de changement politique porté par la rue, et le risque d’une explosion sécuritaire due à l’intensification des luttes entre milices, dans un contexte d’effondrement de l’État, d’érosion de la légitimité et de perte de contrôle. »
Ils considèrent que « la situation actuelle ne doit pas être analysée uniquement à travers le prisme des manifestations populaires ou des affrontements armés, mais dans un contexte plus large d’échec politique, de délégitimation du pouvoir en place et de désintégration des alliances entre milices qui, depuis 2011, ont constitué le socle du contrôle sur la capitale. »
L’Ouest libyen, et particulièrement Tripoli, semble être une région dont les contours se redéfinissent sous la pression d’une colère sociale, de conflits de domination, et de transformations régionales liées aux évolutions du dossier libyen.
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Un moment charnière
Le politologue libyen Mohamed Amtairid affirme que « Tripoli vit un moment charnière, marqué par une perte totale de légitimité », soulignant que le gouvernement d’Abdelhamid Dbeibah à Tripoli est désormais incapable de contenir la colère populaire — et s’est même directement engagé dans sa répression — le transformant ainsi, aux yeux d’une large frange de la population, en adversaire direct.
Selon lui, ce qui se passe à Tripoli rappelle les soulèvements populaires dans d’autres pays ayant renversé leurs régimes après que ceux-ci aient eu recours à la violence contre les civils. Il affirme :
« Le peuple est descendu dans la rue, et la colère s’est transformée d’actions sporadiques en un véritable mouvement de contestation politique et sociale. »
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Il note que les manifestations qui ont éclaté sur des places symboliques telles que la Place des Martyrs ou autour de la Sarraïa Rouge ne sont pas de simples actions spontanées, mais la réponse directe à la perte de soutien de la part des milices qui assuraient la protection du gouvernement. Certaines de ces factions se sont retirées ou sont entrées en conflit en raison de ce qu’il appelle une trahison mutuelle entre anciens alliés.
Ce qui distingue cette phase, selon Amtairid, c’est le changement d’état d’esprit général, avec une partie de la population réclamant désormais le démantèlement des milices et la fin du statu quo, avec des voix de plus en plus fortes exigeant une armée et une police nationales pour rétablir l’ordre et restaurer l’autorité de l’État à Tripoli.
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Il ajoute : « Même si des cessez-le-feu sont annoncés ou que des comités de dialogue sont mis en place, le pouvoir ne détient plus le contrôle du processus. Ce sont désormais les rues qui dictent les trajectoires. Des quartiers comme Abou Salim, Souk Al-Jomaa ou Aïn Zara scandent un même slogan : ‘Plus de pouvoir pour les milices.’ »
L’aggravation du conflit sécuritaire : l’État s’effondre
Pour Youssef Al-Farsi, professeur en sciences politiques, ce qui se passe actuellement à Tripoli dépasse le simple cadre des protestations : il s’agit d’un conflit complexe, motivé par des règlements de comptes entre factions rivales cherchant à repositionner leurs intérêts dans un paysage en crise.
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Il explique : « Le conflit n’est plus uniquement politique. Il s’agit d’une confrontation armée entre des forces qui ont perdu toute confiance les unes envers les autres, et chacune cherche à s’imposer par la force. L’effondrement du gouvernement Dbeibah pourrait ouvrir la voie à un changement, mais risque aussi de provoquer une explosion si la situation n’est pas maîtrisée rapidement. »
Il prévient que la formation d’un nouveau gouvernement ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d’un démantèlement des réseaux d’intérêts liés au pouvoir des armes, précisant que les milices qui contrôlent Tripoli ne laisseront pas facilement émerger une alternative qui mettrait en péril leurs privilèges et qu’elles feront tout pour relancer les affrontements et semer le chaos.
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souligne que la capitale est actuellement le théâtre d’un effondrement total de l’État, avec la libération de plusieurs éléments extrémistes, la recrudescence de la criminalité, et l’absence de sécurité et de services, reflétant un état de désintégration totale.Il conclut : « La Libye a besoin d’un véritable projet de sauvetage national, fondé sur une dynamique intérieure et un appui international sincère, indépendant des intérêts contradictoires. Ignorer les racines de la crise ne fera qu’élargir le cercle de la violence, et l’Ouest libyen risque de devenir le théâtre d’un conflit prolongé. »
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Vers une explosion inévitable ?
Le journaliste et analyste politique Ayoub Al-Awjali dresse un tableau encore plus sombre : Tripoli, selon lui, a dépassé le stade de la protestation pour entrer dans une phase de rupture du consensus populaire, plongeant dans l’incertitude, avec des scénarios désormais ouverts à tous les possibles.
Il déclare : « L’assassinat d’Abdelghani Al-Kikli, alias “Ghneiwa”, qui était considéré comme le véritable homme fort de Tripoli, a bouleversé les équilibres de pouvoir. Ce meurtre a provoqué une rupture de confiance totale entre les chefs de milices, chacun se retranchant désormais dans ses bases, en vue d’une escalade à venir. »
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ajoute : « Nous assistons à l’effondrement progressif des alliances basées sur les loyautés. Chaque faction armée se méfie désormais des autres. Les appels à la désobéissance civile se multiplient, et la rue n’a plus aucune patience. »
Selon lui, le gouvernement Dbeibah subit de fortes pressions internes et externes, mais la menace principale reste le rejet populaire, qui ne peut plus être calmé par de simples discours ou promesses.
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conclut : « Si Dbeibah n’entend pas les avertissements et ne se retire pas ou ne propose pas un véritable changement, la ville risque une guerre civile entre ses partisans et ses opposants. Et c’est le citoyen libyen ordinaire qui en paiera le prix fort. »
« Personne ne souhaite voir ce scénario désastreux se réaliser, mais ignorer la voix du peuple nous y conduira inévitablement. La capitale est à un tournant historique : soit elle opte pour un changement pacifique, en écoutant les revendications de la rue, soit elle sombre dans un chaos qui pourrait durer des années. »
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