Politique

Tunisie – La difficile opposition au président Kaïs Saïed


Dimanche 1ermai, jour de la fête du travail et veille de l’Aïd-el-Fitr, le président tunisien Kaïs Saïed a prononcé un discours pour justifier sa « feuille de route », égratignant au passage la classe politique et tous ses détracteurs, des « ennemis de la démocratie au service de forces étrangères ».

Il n’a pas dérogé à la règle. A grand renfort de tirades belliqueuses contre ceux qui « essayent d’atteindre l’Etat pendant le ramadan plutôt que de passer leur soirée à la mosquée », Kaïs Saïed a donné le coup d’envoi de l’élaboration d’une nouvelle Constitution : rédigée par un comité d’experts, celle-ci devrait se baser sur la consultation nationale à laquelle quelque 500 000 Tunisiens ont participé en début d’année.

Kaïs Saïed a également annoncé la tenue d’un « dialogue national » qui exclura toutefois « ceux qui ont détruit le pays ».

Son discours n’a pas provoqué de levée de boucliers, pas plus que le démantèlement progressif des institutions acquises après la révolution de 2011, qui a marqué l’année écoulée. Pleins pouvoirs, gel puis dissolution du Parlement, dissolution du Conseil de la magistrature, réforme par décret de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) : les réactions restent timides du côté de la société civile et des intellectuels.

Dans la rue, la contestation des décisions de Kaïs Saïed est circonscrite à deux mouvements d’opposition politique, qui ne parviennent pas à rassembler au-delà de leurs militants. L’un est mené par le constitutionnaliste Jaouhar Ben Mbarek avec « le collectif contre le coup d’Etat », soutenu par le parti islamo-conservateur Ennahdha. Ce 26 Avril, ils ont été rejoints par cinq partis libéraux et socio-démocrates, qui ont constitué un « Front de salut national » à l’initiative de l’homme politique, Ahmed Néjib Chebbi, 78 ans. Mais il trouve peu d’écho en raison d’un fort rejet populaire d’Ennahdha, qui a participé au pouvoir pendant dix ans.

Le second mouvement d’opposition gravite autour d’Abir Moussi, députée et présidente du Parti destourien libre, une formation anti-islamiste, se réclamant de l’héritage de l’ancien président Habib Bourguiba. Mais son discours jugé parfois trop clivant l’empêche d’agréger d’autres courants. Face à ce manque d’alternative politique, les associations locales, en grande partie constituées de jeunes qui se sont mobilisés dans le sillage de la révolution de 2011, peinent à se positionner. « Il y a eu un essoufflement de leur engagement, à cause du même désenchantement qui a poussé les Tunisiens à s’éloigner de la politique ces dernières années », explique la militante féministe Bochra Belhaj Hmida.

Certaines structures tentent bien de prendre position. I Watch, une ONG œuvrant contre la corruption, qui avait soutenu le coup de force du 25 juillet 2021, appelle désormais à boycotter le référendum constitutionnel annoncé pour cet été. L’ONG Al Bawsala, qui lutte pour la transparence de la gouvernance, a mis en garde plusieurs fois contre les dérives autoritaires du président, de même que certains universitaires et juristes. Mais « l’état de sidération » dans lequel le pays a plongé après les mesures d’exception prises par Kaïs Saïed fait que beaucoup sont encore « en attente ou à la recherche de nouveaux leviers d’action », explique Salma Jrad, directrice d’Al Bawsala.

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