Troisième anniversaire de la guerre : l’Ukraine entre inquiétude sur le front et incertitudes politiques
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L’inquiétude en Ukraine ne s’arrête pas aux portes du palais présidentiel, mais résonne également dans les tranchées enneigées de l’est du pays, où les tirs du front s’entremêlent aux débats politiques.
La récente vague de déclarations du président américain Donald Trump sur l’Ukraine a atteint les lignes de front, où les forces ukrainiennes épuisées repoussent les attaques russes depuis plus d’un an.
Un mois après le début de son second mandat, Trump a suscité une vive inquiétude en Ukraine, alors que les États-Unis se préparent à entamer des discussions avec la Russie sur la guerre.
Mercredi dernier, Trump a estimé que la Russie était « en position de force » dans les négociations visant à mettre fin au conflit en Ukraine. Il avait auparavant accusé le président ukrainien Volodymyr Zelensky d’être un « dictateur » refusant d’organiser de nouvelles élections.
Trump a également exigé que Kiev livre 500 milliards de dollars de minerais rares aux États-Unis en échange de la poursuite de leur soutien. Il a même suggéré que « l’Ukraine pourrait un jour appartenir à la Russie ».
L’écho des déclarations de Trump
« Tout le monde parle des déclarations de Trump, bien sûr », confie Serhiy, sergent-major de la 115ᵉ brigade mécanisée, alors qu’il se repose dans une maison discrète en périphérie de Lyman, une ville régulièrement bombardée située à une dizaine de kilomètres des premières lignes russes.
Comme d’autres soldats interrogés par Foreign Policy ce mois-ci, Serhiy a accepté de s’exprimer sous son seul prénom, conformément au protocole militaire ukrainien.
Le 12 février dernier, Trump s’est félicité d’un « appel téléphonique long et très productif » avec le président russe Vladimir Poutine, au cours duquel les deux dirigeants auraient convenu de se rencontrer prochainement.
Selon Foreign Policy, les discussions récentes entre les chefs de la diplomatie américaine et russe n’ont fait qu’alimenter les craintes de Kiev d’être exclue des délibérations sur son propre avenir. L’inquiétude a atteint son paroxysme lorsque Trump a publié mercredi une déclaration qualifiant Zelensky de « dictateur sans élections » et l’exhortant à « agir rapidement, sous peine de ne plus avoir de pays ».
« Pendant ce temps, nous négocions avec succès la fin de la guerre avec la Russie », a ajouté Trump.
Sur la ligne de front
Ces perspectives suscitent à la fois inquiétude et espoir sur le terrain. Oleksandr, un chef d’unité de reconnaissance de la 115ᵉ brigade âgé de 32 ans, souligne que « toutes les guerres se terminent par des négociations ».
« Mais la situation est complexe, car nous ignorons ce qui se passe sur le plan politique. Les Russes exerceront une pression, et nous ne savons pas ce que veut Trump, ce qu’il attend de l’Ukraine, ni ce que l’Ukraine peut accepter. Ce que nous savons, c’est que si les Russes veulent poursuivre la guerre, ils le feront », ajoute Oleksandr.
L’offensive russe sur le front, qui dure depuis plus d’un an, a épuisé les brigades ukrainiennes, déjà confrontées à une grave pénurie de soldats.
Pour pallier ce manque d’effectifs, les deux camps ont largement recours aux drones, à la fois pour la reconnaissance et les frappes.
Oleksandr précise que « les drones sont très efficaces par beau temps. Mais en cas de vent, de pluie, de neige ou de froid extrême, ils deviennent inutilisables ».
« Quoi qu’il en soit, les soldats restent indispensables, et la meilleure stratégie repose sur une coordination entre les drones et les troupes au sol. Mais dans les brigades d’infanterie, les éclaireurs deviennent une espèce en voie de disparition… C’est un métier spécifique, et peu de gens veulent le faire », ajoute-t-il.
Une guerre de drones
Volodya, un chirurgien militaire de 35 ans, s’exprimant depuis un centre médical installé dans le sous-sol d’un bâtiment partiellement détruit à Lyman, constate que « la guerre devient de plus en plus technologique. Il y a moins de soldats sur le front, et davantage d’attention est portée aux drones pour stopper les attaques ennemies ».
D’après un récent rapport de l’Institut international d’études stratégiques, au moins 172 000 soldats russes ont été tués depuis le début de la guerre en 2022. L’année 2024 est d’ailleurs la plus meurtrière depuis le début du conflit.
Malgré ses lourdes pertes, l’armée russe est parvenue ces derniers mois à atteindre la périphérie de Pokrovsk, dernière grande ville sous contrôle ukrainien dans le sud du Donbass, et à prendre la localité de Velyka Novosilka.
À Kramatorsk, capitale du Donbass sous contrôle ukrainien située à environ 30 kilomètres au sud de Lyman, les habitants suivent de près l’évolution de la situation sur la ligne de front.
Après des semaines de combats acharnés, les forces russes progressent lentement vers la forteresse défensive ukrainienne de Chasiv Yar, à 25 kilomètres à l’est de Kramatorsk.
Désormais, cette ville industrielle ainsi que la voisine Sloviansk tremblent régulièrement sous l’effet des explosions.
Kramatorsk, devenue une cité militaire où circulent quotidiennement des centaines de véhicules de combat en direction et en provenance du front, compte encore 80 000 habitants, contre environ 160 000 avant la guerre.
Le pire à venir ?
Volodymyr Ivanenko, directeur de l’hôpital municipal n°1 de Sloviansk, estime qu’« il est désormais évident qu’une grande partie de la population souhaite un cessez-le-feu immédiat. Si la guerre continue, les missiles continueront de pleuvoir, les usines et les entreprises ne reprendront pas leur activité, et ce sera un cauchemar sans fin ».
« Mais nous nous préparons au pire, à savoir que Trump cesse non seulement d’envoyer des armes, mais de soutenir l’Ukraine dans son ensemble », ajoute Ivanenko.
Partout dans le pays, la fermeture par l’administration Trump de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a déjà contraint des dizaines d’ONG ukrainiennes à réduire leurs activités ou à mettre fin à leurs projets.
Sur le front, le scepticisme quant à la capacité de Trump à négocier un accord avec Moscou reste largement répandu.
Pour Volodya, le chirurgien militaire, « les négociations ne sont possibles que si nous pouvons parler en position de force. Or, si l’on en juge par la situation sur le front, nous ne sommes clairement pas en position de force aujourd’hui ».