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Transition civile ou chaos : la dernière bataille du Soudan contre lui-même et contre le monde


Depuis plusieurs années, le Soudan vit entre le marteau des coups d’État et l’enclume de la guerre civile, entre l’illusion du pouvoir et la réalité de l’effondrement, entre ceux qui brandissent le slogan du « salut national » tout en semant la destruction, et ceux qui parlent au nom de la « patrie » tout en la vendant au gré des loyautés et des armes. Au milieu de ces ruines, la voix de la communauté internationale s’élève, non pas pour soutenir un camp contre un autre, mais pour affirmer clairement : le monde ne reconnaît plus ceux qui imposent leur autorité par la force. La légitimité ne s’arrache plus avec des chars, elle s’obtient par la gouvernance civile, la justice et la capacité des peuples à se diriger eux-mêmes plutôt qu’à être soumis.

L’évolution des positions internationales vis-à-vis du Soudan révèle un tournant profond. Les temps de la complaisance et de la tolérance envers les « nouveaux putschistes » sont révolus. L’Occident, l’Afrique et les organisations multilatérales s’accordent désormais sur un principe : quiconque accède au pouvoir par la force tombera sous le poids de l’isolement. Aujourd’hui, le monde aborde la question soudanaise avec une équation claire : aucun soutien sans transition civile, aucune reconnaissance sans justice transitionnelle.

Certains dirigeants militaires à Khartoum pensent encore pouvoir duper le monde par un double discours, invoquant la souveraineté lorsqu’ils sont appelés à rendre des comptes, tout en sollicitant une aide extérieure lorsqu’ils manquent de financement. Mais la supercherie a pris fin. La communauté internationale n’est plus dupe : les expressions telles que « sécurité nationale » ou « unité du pays » ne peuvent plus servir de prétexte à la tyrannie ou à la prolongation des régimes autoritaires. Le monde a appris, au fil des expériences régionales, qu’aucun régime dépourvu de légitimité populaire ne peut échapper à la rébellion, et qu’une autorité fermée à la justice ne peut que semer le chaos.

Dans les coulisses diplomatiques, les débats sont plus profonds qu’ils n’y paraissent. Les rapports des Nations unies, de l’Union africaine et de l’Union européenne soulignent que le Soudan n’est plus un simple cas local, mais un test de la capacité mondiale à enrayer la résurgence des coups d’État en Afrique. La fermeté internationale à l’égard de Khartoum n’est donc pas une forme de ciblage, mais un message à toute la région : il n’y a plus de place pour les régimes militaires au XXIe siècle.

Derrière cette position de principe se cachent des considérations géopolitiques concrètes. Le Soudan n’est pas un pays périphérique : il constitue la porte du Sahara vers la mer Rouge et le pivot de la stabilité de l’Afrique de l’Est. Laisser le pays sombrer dans une guerre prolongée reviendrait à provoquer un flux de réfugiés, d’armes et de milices à travers la région, du Tchad à l’Égypte, de l’Éthiopie à la Libye. Soutenir une transition civile au Soudan n’est donc pas un choix politique, mais une nécessité sécuritaire mondiale.

Plus inquiétant encore, le coup d’État s’est transformé en système économique fondé sur la prédation et la corruption. Les experts internationaux décrivent un commerce illégal de l’or, un trafic de ressources et une économie de guerre autoalimentée au détriment du citoyen soudanais. Le refus de reconnaître un régime militaire ne relève donc pas seulement d’un principe politique, mais aussi de la volonté de briser un réseau opaque qui a transformé le Soudan en marché de l’or, des armes et du sang.

Malgré tout, la position internationale demeure confrontée à un dilemme moral. Car si les principes sont clairs, les moyens restent limités. Ni l’ONU ni l’Union africaine ne disposent de la capacité d’imposer la paix ou de protéger efficacement les civils. D’où l’accusation de « double discours » : condamner les coups d’État dans les communiqués tout en laissant les villes sous les bombes. En réalité, le monde ne possède au Soudan que les leviers de la pression politique et économique, pas celui de l’intervention militaire. C’est pourquoi il choisit l’arme de l’isolement comme moyen de dissuasion contre les saboteurs du processus démocratique.

Au fond, deux logiques s’affrontent : celle de la force et celle de la légitimité. La première mise sur la peur et la puissance brute, la seconde sur le droit et le consensus civil. Le monde a choisi, lentement mais sûrement, de se ranger du côté de la légitimité. Car les leçons de la Syrie, de la Libye et du Yémen ont démontré que tolérer les putschs revient à engendrer de nouvelles tragédies. Le Soudan ne doit pas répéter ces erreurs.

Les enquêtes menées par Amnesty International et Human Rights Watch ont révélé l’ampleur du désastre : des villages incendiés, des hôpitaux détruits, des civils abattus pour avoir été « au mauvais endroit ». Les victimes n’ont trouvé ni État protecteur ni justice. La demande internationale de justice transitionnelle n’est donc pas politique, mais profondément humaine : sans justice, aucune réconciliation n’est possible.

Cependant, le principal obstacle reste interne. Les forces civiles soudanaises se divisent, se concurrencent et affaiblissent leur propre légitimité, offrant ainsi aux militaires une marge de manœuvre. Le monde veut soutenir un pouvoir civil, mais comment le faire si les civils eux-mêmes ne s’unissent pas ? Ce désaccord interne a conduit la communauté internationale à exercer une pression accrue pour pousser à la formation d’un front civil unifié, capable de négocier au nom du peuple et non des partis.

Ce qui se joue au Soudan est donc un test de volonté, autant pour les Soudanais que pour la communauté internationale. La transition démocratique ne viendra pas de l’extérieur ; elle naîtra d’une prise de conscience nationale. Le monde peut accompagner, mais non imposer, la démocratie.

Une chose, toutefois, est claire : le retour en arrière est impossible. Aucune légitimité ne sera plus accordée aux putschs. Ce principe est désormais gravé dans la diplomatie mondiale. Les sanctions — gel d’avoirs, restrictions de voyage — ne sont qu’un avertissement avant des mesures plus sévères si le processus démocratique continue d’être saboté. À l’inverse, plusieurs pays, comme la Norvège, le Canada et l’Allemagne, préparent déjà des programmes de reconstruction, à condition que le pouvoir civil soit restauré.

En définitive, la position du monde envers le Soudan n’est pas une hostilité, mais un engagement envers l’avenir. L’avenir d’un État fondé sur la citoyenneté, non sur la loyauté des armes. La justice transitionnelle n’est pas un luxe occidental, mais une nécessité nationale pour briser le cycle du sang. Et le message du monde est clair : aucune légitimité pour ceux qui tuent leur peuple, aucune reconnaissance pour ceux qui volent leur pays.

L’ère des coups d’État est révolue. Le monde a changé, et le Soudan aussi. La légitimité s’écrit désormais en lettres civiles, non militaires. Car aucune armée ne peut vaincre la volonté d’un peuple décidé à vivre dans un État juste, gouverné par les lois et non par les fusils. Tel est le message que le monde adresse aujourd’hui au Soudan : une leçon douloureuse, mais nécessaire, avant qu’une nouvelle page de son histoire puisse enfin s’écrire.

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