Politique

Oleg Lyalin… un transfuge qui sauva le renseignement britannique et déstabilisa le Kremlin


Au plus fort de la guerre froide, alors que le Royaume-Uni vivait dans la crainte constante de l’infiltration soviétique, un officier du KGB fit défection et offrit des révélations saisissantes sur des plans de sabotage et d’assassinats.

La question cruciale pour les dirigeants du MI5, le service de contre-espionnage britannique, fut alors la suivante : pouvait-on réellement lui faire confiance ?

L’affaire remonte à septembre 1971, lorsque Oleg Lyalin, jeune officier du KGB, frappa à la porte d’un poste de police au nord de Londres en demandant à entrer en contact avec le MI5. Depuis deux ans, il vivait au Royaume-Uni sous couverture, se faisant passer pour un « expert en textiles » au sein de la mission commerciale soviétique. Convaincu à tort que son identité avait été compromise, il choisit de se livrer.

Rapidement transféré dans une maison sécurisée, Lyalin commença à révéler des informations explosives : les plans mis au point par l’unité de sabotage et d’assassinats du KGB – connue sous le nom de « cinquième département » – visant la Grande-Bretagne en cas de guerre. Parmi ces projets figuraient l’assassinat de personnalités politiques, le sabotage du réseau ferroviaire, la contamination des eaux côtières par des déchets radioactifs, ainsi que la destruction de stocks alimentaires.

Des motivations personnelles inattendues
Contrairement à l’image habituelle du transfuge motivé par l’argent ou la recherche d’asile, Lyalin poursuivait un objectif singulier : il voulait être officiellement expulsé du Royaume-Uni afin de rentrer à Moscou et divorcer de son épouse Tamara, avec laquelle la vie était devenue insupportable, entre querelles conjugales, excès mondains et relations extraconjugales.
Un rapport ultérieur de la CIA révéla même que Lyalin proposa d’échanger des informations contre la garantie qu’il serait déclaré persona non grata, estimant qu’une telle décision lui permettrait de revenir en grâce auprès du KGB et de régler son divorce.

Une crise de confiance avec Washington
Son apparition sema le trouble au MI5, encore marqué par les affaires retentissantes d’agents doubles britanniques tels que Kim Philby et Anthony Blunt, sans oublier les avertissements américains sur la tactique soviétique des « faux transfuges » envoyés pour infiltrer les services occidentaux.


Le directeur général du MI5, Martin Furnival Jones, dut trancher : informer Washington au risque de voir l’opération compromise, ou poursuivre discrètement les vérifications. Le choix se porta sur la seconde option. Lyalin fut soumis à de longs interrogatoires et à une surveillance serrée, qui confirmèrent la véracité d’une grande partie de ses révélations.

Des noms et des plans dévoilés
Peu à peu, Lyalin livra davantage de détails : il transmit les noms d’officiers du KGB et du GRU (le renseignement militaire soviétique) opérant clandestinement en Grande-Bretagne, évoqua l’existence de plans de débarquement sur la côte du Yorkshire, et désigna des réseaux d’agents locaux équipés de radios destinés à soutenir de futures opérations.

Le tournant décisif
En août 1971, arrêté pour conduite en état d’ivresse, il fut soudain rappelé à Moscou. C’est alors qu’il prit sa décision irrévocable : demander l’asile politique au Royaume-Uni en compagnie de sa maîtresse, Irina Teblyakova.
Ses révélations permirent à Londres de lancer l’« Opération Foot », la plus vaste expulsion diplomatique de son histoire, qui aboutit au renvoi de 105 agents soviétiques. Ce fut un coup sévère pour le Kremlin, qui dut dissoudre le « cinquième département » du KGB et entreprendre une douloureuse révision interne. Pour la première fois depuis longtemps, le MI5 inversait le rapport de force.

Un climat de suspicion durable
Cette défection plongea le KGB dans une paranoïa persistante : ses propres officiers furent contraints de signaler la moindre suspicion à l’égard de leurs collègues, une atmosphère de méfiance qui avait longtemps pesé sur les services occidentaux. Pourtant, les doutes subsistaient. James Angleton, chef du contre-espionnage de la CIA, se rendit à Londres pour affirmer que Lyalin n’était qu’un « agent envoyé » par Moscou. Mais les Britanniques balayèrent ces accusations, s’appuyant sur les résultats concrets obtenus.

Épilogue et héritage
En juillet 1972, un tribunal soviétique condamna Lyalin à mort par contumace. Il vécut néanmoins sous une nouvelle identité dans le nord de l’Angleterre jusqu’à sa mort, en 1995.
La Russie, cependant, poursuivit sa politique d’élimination de ses opposants à l’étranger : en 2006, Alexandre Litvinenko fut assassiné à Londres au polonium, et en 2018, Sergueï Skripal échappa de peu à une tentative d’empoisonnement au Novitchok.

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