Nigeria et les terroristes repentis… un parcours de retour après l’extrémisme
Un petit point noir se déplace dans le ciel de Bama, au Nigeria, avant que ne se fasse entendre le bourdonnement d’un moteur d’avion, puis le bruit s’intensifie jusqu’à couvrir totalement les sons environnants.
Dans cette ville du nord-est du pays, à environ 50 kilomètres de Maiduguri, capitale de l’État de Borno, Kashala s’interrompt, le bras levé, tenant un marteau. Commentant calmement le bruit, il dit: «C’est un hélicoptère», puis soupire et se penche à nouveau pour fabriquer un cadre en bois.
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Kashala fait partie des dizaines de milliers d’anciens combattants de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, il a choisi la voie de la «repentance», comme on l’appelle localement, entamant une difficile reconversion après des années de radicalisation et de violence.
Selon Radio France Internationale, le Nigeria s’appuie sur des mécanismes de justice transitionnelle pour encourager le retour des repentis au sein des communautés où vivent souvent les victimes de l’extrémisme.
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L’homme évoque une période de sa vie durant laquelle il dit avoir été contraint de rejoindre Boko Haram. Il explique: «On nous disait que c’était pour le bien général».
En 2020, ce trentenaire frêle a quitté les rangs du groupe extrémiste. Il reconnaît: «J’étais un combattant», ajoutant: «À l’époque, nous n’avions pas le choix. Nous étions forcés de travailler avec eux, sinon la mort nous attendait».
Après son endoctrinement, Kashala est devenu une machine à tuer, ayant rejoint l’organisation en 2014 dans le nord-est du Nigeria.
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Il admet avoir commis des actes de torture et de meurtre sur ordre des dirigeants de Boko Haram, dont le chef Abubakar Shekau, tué en 2021.
Parmi les lieux où il affirme avoir perpétré des exactions figurent Gwoza, Damboa, Konduga, Bama et Chibok.
«J’ai fait cela volontairement, parce qu’on nous disait que c’était une bonne action. Nos chefs nous répétaient que nous irions au paradis après notre mort», poursuit-il.
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Aujourd’hui, confie-t-il, il ne laisse paraître ses regrets qu’en privé, par crainte de représailles. Il vit désormais à Bama avec sa compagne Bintugana, ancienne captive de Boko Haram qu’il a épousée dans la forêt de Sambisa, et leurs deux enfants nés dans ce refuge longtemps contrôlé par Shekau.
Les compétences en menuiserie acquises par Kashala l’aident à tisser des liens dans la ville. Malgré la connaissance de leur passé, les clients entrent chez eux sans peur, où il a installé un atelier informel.
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Pourtant, Bintugana ressent toujours une forme de mépris dans le regard de leurs voisins immédiats: «Nous entendons beaucoup d’insultes déguisées, mais cela ne nous atteint pas. Au moins, nos familles ne nous rejettent pas. C’est pour cela que nous ne voulons pas retourner à Sambisa».
Elle ajoute: «Je me suis simplement rendue avec mon arme, sans subir de mauvais traitements».
Le «corridor sûr»
En 2016, le gouvernement nigérian a lancé l’opération «Corridor sûr», offrant aux combattants de Boko Haram et de l’État islamique une chance de quitter les groupes et de se réintégrer dans la société.
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Cette initiative est dirigée par l’armée, les services de sécurité et les agences de renseignement. Parallèlement, l’État de Borno, épicentre du conflit, a mis en place une approche locale appelée «modèle Borno».
Cette approche a commencé comme une forme d’accueil spontané, renforcée ensuite par les désertions massives de la forêt de Sambisa, notamment après la mort d’Abubakar Shekau en 2021.
Le «Corridor sûr» et le «modèle Borno» sont deux mécanismes officiels de justice transitionnelle appliqués à tous les «repentis» — hommes, femmes et enfants — dans le nord-est du Nigeria.
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«Quand nous avons fui Boko Haram, nous imaginions le pire. Ensuite, je me suis simplement rendu avec mon arme, sans aucune maltraitance. Ma famille et moi avons été enregistrés», se souvient Kashala.
Mustafa Ali, théologien nigérian, souligne que «l’idéologie extrémiste est profondément enracinée dans l’esprit de ces gens».
Il a reçu, ces dernières années, des dizaines d’anciens combattants au profil similaire. Enseignant les études islamiques à l’université de Maiduguri, il est également une figure importante du «Centre Imam Malik», qu’il a intégré en 1996.
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L’institution, fondée dans les années 1990, offre des services allant de la maternelle au secondaire et se situe près du palais Shehu dans la capitale de l’État de Borno.
Mustafa Ali affirme: «Ce lieu n’est pas simplement un centre d’apprentissage religieux. Notre directeur, le cheikh Abubakar Kyari, fut l’un des premiers à s’opposer à Mohammed Yusuf (fondateur et guide spirituel de Boko Haram) et à ses interprétations erronées qui ont engendré cette idéologie extrémiste».
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Après avoir été témoin de l’ascension de Boko Haram et des ravages causés autour du lac Tchad, il s’appuie désormais sur son expertise pour travailler comme conseiller indépendant auprès d’une ONG nigériane, la fondation Al-Amin, engagée dans la lutte contre l’extrémisme.
«Je travaille avec un maximum de 20 repentis. Nous nous concentrons sur des versets précis. Mon équipe et moi les rencontrons au moins 15 fois», explique-t-il.
«C’est essentiel, car l’idéologie extrémiste est profondément ancrée dans l’esprit des adultes et des enfants que nous accompagnons», souligne-t-il.
