Politique

Moscou combat avec des mains ukrainiennes : les coulisses des assassinats cachés


Dans l’une des méthodes les plus sournoises de la guerre secrète, les services de renseignement russes ont réussi à manipuler des Ukrainiens – certains anciens soldats, d’autres de simples citoyens accablés par la perte ou la colère – pour exécuter des assassinats ciblant des personnalités de premier plan en Ukraine. Ces hommes et ces femmes croyaient servir leur patrie, alors qu’ils n’étaient en réalité que des instruments aux mains de Moscou.

Le scénario qui a révélé cette stratégie a commencé à Kiev, lorsqu’un ancien soldat ukrainien, armé d’un fusil d’assaut AK-12, se préparait à tirer sur un prétendu « traître » présenté comme collaborant avec la Russie. Pendant des semaines, il avait observé sa cible, attendant le moment opportun. Mais au dernier instant, une unité spéciale du Service de sécurité d’Ukraine (SBU) l’a intercepté avant qu’il n’appuie sur la détente.

Ce n’est qu’alors que la supercherie est apparue : les « officiers ukrainiens » qui l’avaient contacté étaient en réalité des agents du FSB russe, et la cible n’était pas un traître, mais le major Serhiy Filimonov, commandant reconnu de la brigade de terrain « Loups de Davydiv ».

Cet épisode n’était qu’un maillon d’une chaîne plus large. Quatre des six assassinats marquants commis récemment en Ukraine ont été perpétrés par des ressortissants ukrainiens manipulés psychologiquement, exploités dans leur fragilité émotionnelle et instrumentalisés comme exécutants de Moscou.

Le cas le plus récent s’est produit le 30 août, avec l’assassinat d’Andriy Parubiy, ancien président du Parlement ukrainien, à Lviv. L’enquête a révélé que son assassin, Mykhailo Stelnykov, âgé de 52 ans, avait été poussé à l’acte après la disparition tragique de son fils près de Bakhmout en 2023. Les agents russes l’auraient convaincu que tuer Parubiy lui permettrait de récupérer la dépouille de son enfant.

Le major Filimonov, lui-même visé par une tentative avortée, explique que la Russie exploite la douleur et la colère pour recruter. Selon ses mots : « Moscou tente de transformer des personnes psychologiquement fragiles en tueurs. La colère la plus vive des Ukrainiens est liée aux frappes de missiles et aux drones contre les zones civiles, et les Russes s’en servent. Dans mon cas, ils ont persuadé un homme que j’étais un agent russe dirigeant les bombardements sur Kiev. »

La liste des victimes ne s’arrête pas là. En juillet 2024, l’ancienne députée Iryna Farion a été tuée à Lviv par un jeune de 18 ans lié à des groupes extrémistes néonazis russes en ligne. En mars, le militant Dmytro Hanul a été abattu à Odessa par un officier déserteur de l’armée ukrainienne. En mai, une femme d’Odessa a tiré sur l’activiste Serhiy Sternenko à Kiev après avoir été persuadée par un contact virtuel qu’il était un « traître » ; il lui avait promis en retour une aide médicale pour obtenir une greffe de rein.

La seule exception dans cette série fut l’assassinat du colonel Ivan Voronech, ancien officier du SBU, tué le 10 juillet par deux professionnels supposément originaires d’Azerbaïdjan travaillant pour la Russie. Ils ont été eux-mêmes abattus trois jours plus tard lors d’une opération des services secrets ukrainiens à Kiev.

Selon le SBU, ces tactiques sont relativement récentes. Les agents russes se font passer pour des membres du renseignement ukrainien, distribuant des ordres falsifiés sous couvert d’un patriotisme de façade.

Les détails de la tentative contre le major Filimonov illustrent cette méthode : un ancien soldat a reçu l’appel d’une femme prétendant appartenir au renseignement ukrainien. Elle l’accusait de soutenir la Russie financièrement via l’achat de matériel médical sur un site en ligne. Un faux mandat d’enquête lui fut envoyé. Sous la menace de poursuites, il fut « réhabilité » en échange d’une coopération : surveiller Filimonov depuis un appartement loué à proximité. On le convainquit que l’officier était un espion russe.

L’opération a été interrompue in extremis. L’homme, persuadé jusqu’au bout de sa mission patriotique, affirmait à ses faux supérieurs qu’il était prêt à tuer « pour son pays », sans rien demander en retour.

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