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Les témoignages des civils comme référence politique : comment la guerre révèle la nature des décisions ayant créé la tragédie


Au cœur de la guerre soudanaise, qui a dépassé les attentes sur le plan militaire et politique, la voix des victimes est devenue l’élément le plus clair d’une équation complexe mêlant calculs militaires et luttes d’influence régionales et économiques. La guerre officiellement déclenchée entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide n’était pas seulement un affrontement entre deux forces armées, mais un vaste effondrement du système sécuritaire et administratif, transformant les villes du Soudan — notamment Khartoum et le Darfour — en théâtres ouverts d’atteintes quotidiennes, avec des milliers de civils sans protection et sans possibilité de fuir.

Ce qui frappe dans les témoignages issus des zones de conflit, c’est qu’ils ne sont plus de simples récits individuels de souffrance personnelle, mais des preuves accumulées révélant la nature des décisions prises par les commandements en conflit, sur le terrain comme dans les salles de négociation. Les témoignages provenant d’al-Jenina, Krink, El-Fashir, ainsi que des quartiers de Khartoum Bahri et de l’est du Nil, montrent que la mise en danger des quartiers résidentiels n’était pas le fruit d’une « erreur » de ciblage, comme le prétendent les parties en guerre, mais le résultat d’un comportement militaire constant : prendre le contrôle de zones peuplées pour imposer la domination, puis utiliser les civils comme ligne de défense non déclarée.

Au fil du temps, la guerre ne se lit plus comme un simple conflit ponctuel pour le pouvoir, mais comme un événement politique de longue durée redéfinissant violemment le Soudan. Les décisions des commandements militaires — dans l’armée ou les Forces de soutien rapide — laissent des traces directement visibles dans les récits des victimes : qui est tué ? qui disparaît ? qui est déplacé ? qui reste assiégé pendant des mois ? Ces questions dépassent le cadre humanitaire et révèlent la structure même de la guerre.

Les enquêtes menées par des organisations internationales ou locales montrent un point central : les opérations militaires étaient souvent fondées sur une logique erronée selon laquelle la prise de contrôle du territoire primait sur la protection des civils. Ce raisonnement a transformé le Darfour en théâtre de purges planifiées et Khartoum en zone de bombardements aléatoires et de sièges étouffants, laissant les habitants face à la mort quotidienne sans intervention réelle de la communauté internationale.

Les récits des survivants du Darfour offrent une image plus crue que les rapports sommaires : dans certains villages, le problème n’était pas seulement les combats, mais l’effondrement total du tissu social. Des familles entières ont été exterminées, des quartiers ont été ciblés pour des motifs démographiques et politiques plutôt que militaires. Alors que le débat international s’interroge sur la qualification de ces actes comme crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, les survivants vivent un vide immense entre la perte et la quête d’une justice absente.

L’analyse politique du conflit montre que les commandements militaires des deux camps ont pris des décisions aggravant la tragédie des civils plutôt que de les protéger. L’armée a opté dès les premières semaines pour un bombardement intensif, malgré la densité de population à Khartoum, tandis que les Forces de soutien rapide utilisaient quartiers, maisons et écoles comme points de contrôle, transformant chaque zone peuplée en champ de bataille.

Le plus préoccupant n’est pas seulement la survenue des violations, mais la nature des décisions qui les précédaient. Les récits documentés indiquent que certaines directions savaient parfaitement que les civils seraient en danger, mais ont choisi de poursuivre, motivées par la supériorité militaire ou la pression politique. Ces décisions sont aujourd’hui ce que les victimes réclament de voir sanctionné, car elles révèlent un choix délibéré — ou tout au moins une négligence grave — dans la protection des vies humaines.

Le silence des institutions politiques soudanaises, civiles ou partisanes, a contribué à aggraver la crise. L’absence de position commune face aux violations a laissé chaque acteur agir selon des intérêts étroits, tandis que la vérité ne pouvait émerger que des récits des victimes. Ce silence n’est pas neutre : il constitue une complicité politique permettant à la violence de se poursuivre sans responsabilité.

De même, les puissances régionales, intervenant directement ou indirectement, ont contribué à prolonger la guerre. Les livraisons militaires, publiques ou secrètes, et la création de zones de soutien à des alliés à l’intérieur du Soudan, ont militarisé la crise plutôt que favorisé une solution. Chaque soutien renouvelé entraîne immédiatement un prix payé par les civils sous forme d’attaques ou de déplacements supplémentaires.

Certaines approches internationales réduisent la crise à un simple « conflit interne », ignorant la nature des violations commises. Les victimes au Darfour et à Khartoum réclament non seulement l’arrêt de la guerre, mais la reconnaissance des atteintes subies, fondées sur des décisions de commandement claires. La reddition de comptes devient donc un élément essentiel de toute future solution politique.

Avec l’effondrement de l’État soudanais et de ses institutions, les victimes sont désormais la source principale de documentation de la vérité. Leurs témoignages, malgré la douleur, constituent une base morale et politique incontournable dans tout débat sur l’avenir du pays. À ce moment historique, ignorer ces récits revient à tenter d’effacer la vérité et non à se limiter à un différend politique.

Toute future résolution, quelle qu’elle soit, sera invivable sans mécanisme clair de reddition de comptes, non par vengeance, mais pour préserver la mémoire des victimes et empêcher la répétition de ces événements. Transformer les récits des survivants de simples expériences personnelles en documents politiques constitue

une étape cruciale dans la reconstruction du Soudan, car un pays ne se relève des ruines que lorsqu’il reconnaît et affronte ce qui s’est passé, et non lorsqu’il l’ignore.

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