Grand Maghreb

Les Frères musulmans tunisiens et les manifestations de Gabès : le chaos pour miner la colère


Bien qu’ils n’aient accordé aucune attention, durant leurs années de pouvoir, à la souffrance de Gabès causée par la pollution issue de l’usine chimique, leurs dirigeants refont aujourd’hui surface, mais dans un but différent.

Ce que font actuellement les Frères musulmans de Tunisie — incitation à la discorde, tentative de semer la division et de dresser le peuple contre son président — ne diffère guère de ce qui s’est produit lors de chaque vague de colère populaire, dont les auteurs portaient pourtant des revendications pacifiques et légitimes.

À Gabès, gouvernorat qui vit ces jours-ci au rythme de manifestations réclamant des solutions urgentes à la pollution engendrée par une usine chimique, le comportement du mouvement ne surprend pas les observateurs.

Rapidement, les Frères ont exploité les protestations des habitants de cette région du sud-est de la Tunisie, en incitant à la confrontation avec les forces de sécurité via leurs pages sur les réseaux sociaux, sous de fausses bannières révolutionnaires.

Rafik Abdessalem, cadre du mouvement et ancien ministre des Affaires étrangères — également gendre du chef des Frères, Rached Ghannouchi —, a publié sur ses comptes des déclarations affirmant que « la prochaine révolution partira de Gabès ».

Pas de surenchère

En réponse implicite, le président tunisien Kaïs Saïed a récemment affirmé qu’« il n’y aura aucune tolérance envers ceux qui ont failli à leurs devoirs, et qu’il n’est pas question que ces situations soient exploitées à des fins politiciennes, internes ou externes ».

Il a ajouté, selon un communiqué de la présidence : « Nos concitoyens de Gabès, comme ceux de toutes les régions, obtiendront pleinement leurs droits. Ce sont eux qui bâtiront la nouvelle Tunisie qu’ils souhaitent : une Tunisie verte, débarrassée de toute forme de pollution et de tout pollueur. »

Les protestations des habitants de Gabès se poursuivent depuis la semaine dernière, à la suite de multiples cas d’étouffement causés par les émanations de l’usine.

Selon des sources locales, plus d’une centaine de personnes ont été hospitalisées au cours des mois de septembre et octobre.

Le complexe chimique de Gabès, situé à Ghannouch à environ 415 kilomètres de Tunis, emploie environ 4 000 personnes.

Samedi dernier, lors d’une réunion avec la ministre de l’Industrie et des Mines, Fatma Thabet, et le ministre de l’Environnement, Habib Obeid, le président Saïed a ordonné l’envoi d’une équipe conjointe des deux ministères à l’usine d’acide phosphorique pour « réparer ce qui doit l’être au plus vite », selon un communiqué officiel.

Une carte de pression

Pour les observateurs de la scène politique tunisienne, les Frères musulmans, en perte d’influence, continuent d’adopter la stratégie du « chevauchement des événements », exploitant toute protestation spontanée comme levier de pression contre le président Kaïs Saïed.

Le politologue tunisien Abdelmajid Al-Adwani estime que « les revendications des habitants de Gabès sont légitimes, notamment face à la dégradation environnementale résultant de choix erronés depuis des décennies ».

Il ajoute que « détourner ces revendications légitimes vers la violence et le chaos, à travers l’utilisation de cocktails Molotov et l’incendie du siège administratif du complexe chimique, est inacceptable et non innocent ».

Selon lui, « les Frères musulmans continuent de semer le désordre et d attiser les tensions, espérant un retour sur la scène politique par une autre porte ».

Le chercheur rappelle que Gabès, surtout dans sa partie sud, a longtemps constitué, depuis 2011, un bastion électoral du mouvement Ennahdha, dont la plupart des dirigeants, y compris Rached Ghannouchi et Rafik Abdessalem, sont originaires.

Depuis le début des manifestations, Rafik Abdessalem a utilisé ses pages sur les réseaux sociaux, gérées depuis l’étranger, pour inciter les Tunisiens à affronter les forces de l’ordre.

Indifférence passée

De son côté, le militant et analyste politique tunisien Nabil Ghouari souligne que les habitants de Gabès souffrent depuis des décennies des problèmes de pollution dus à l’usine chimique.

Il précise que « le mouvement Ennahdha, acteur clé du pouvoir depuis 2011, est l’un des principaux responsables de la détérioration de la situation environnementale à Gabès et n’a jamais cherché à apaiser la colère des habitants à l’époque ».

Il rappelle que « les habitants avaient déjà réclamé la fermeture de l’usine en 2011, mais Ennahdha n’avait prêté aucune attention à leurs doléances, préoccupé uniquement par ses intérêts partisans étroits ».

Fondée en 1972, l’usine chimique est une filiale du Complexe chimique tunisien (entreprise publique) spécialisée dans la transformation du phosphate en acide phosphorique.

Entre 1979 et 1985, deux unités de production d’engrais phosphatés à base de diammonium ont été construites, et en 1983, une usine de nitrate d’ammonium a été inaugurée.

Ce vaste complexe industriel traite le phosphate provenant des mines du gouvernorat voisin de Gafsa pour produire des engrais et d’autres composés chimiques.

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