Grand Maghreb

Les Frères musulmans de Tunisie et la promesse oubliée : Gabès s’embrase à effet rétroactif 


En 2017, les Frères musulmans tunisiens s’étaient engagés à démanteler le « complexe de la mort » dans le gouvernorat de Gabès, mais cette promesse n’a été qu’un simple sédatif destiné à apaiser momentanément la colère populaire.

Les années ont passé sous leur gouvernement, avant que le peuple ne les écarte du pouvoir, les laissant sortir par la petite porte et abandonnant derrière eux de nombreux dossiers épineux, dont la pollution provoquée par le complexe d’industries chimiques de Gabès.

Bien qu’ils aient ignoré la situation de cette région du sud-est de la Tunisie durant leur règne, certains dirigeants islamistes ont refait surface depuis le début des récentes protestations exigeant des solutions urgentes et radicales à cette crise, tentant d’exploiter la colère populaire et d’instrumentaliser le mouvement pacifique à des fins politiques.

« Un poison mortel »

Depuis le début du mois de septembre, le fils d’Ikram a été hospitalisé à trois reprises à Gabès après avoir inhalé des gaz toxiques.

Cette mère a confié à l’Agence France-Presse que la source de ces émanations était un ancien complexe chimique, réclamant, comme des dizaines d’autres victimes d’intoxication, la fermeture du site.

« Cette usine est un poison mortel, il faut s’en débarrasser », s’écrie-t-elle, précisant

que son fils Ahmed, âgé de 12 ans, a été asphyxié par les gaz émis par l’usine d’engrais relevant du « Groupe chimique tunisien » (public), à l’instar de nombreux habitants des quartiers voisins.

Son fils Ahmed al-Sarraï raconte : « J’étais en classe quand j’ai ressenti une brûlure dans la gorge et un mal de tête, puis j’ai perdu connaissance. »

L’adolescent est scolarisé à l’école « Shatt al-Salam », située à proximité du gigantesque complexe industriel qui dégage jour et nuit une fumée grisâtre enveloppant la région.

Non loin de là, son amie de classe, Amna Mrabet, a senti sa poitrine « s’enflammer » avant de « vomir ». Ses yeux étaient gonflés, son visage livide, et elle boite depuis sa sortie de l’hôpital. Sa mère, Hajar, affirme qu’elle ne la renverra plus à l’école « tant que les autorités n’auront pas trouvé de solution ».

En un mois seulement, environ 200 habitants des quartiers proches du complexe ont reçu un traitement pour des cas d’intoxication, dont 122 personnes la semaine dernière, selon les autorités locales.

« Stop à la pollution »

Le conseiller municipal Ahmed Qafrach a affirmé à l’AFP que « ces symptômes sont dus à des fuites gazeuses provenant des unités du Groupe chimique tunisien ».

Il a précisé que « ces incidents ne sont pas nouveaux, mais leur répétition – quatre fois en septembre et deux fois depuis le début d’octobre – les rend plus graves que jamais ».

Le complexe utilise de l’acide sulfurique et de l’ammoniac pour produire des dérivés du phosphate.

Le Groupe chimique tunisien n’a pas répondu à la demande d’AFP concernant l’état de ses installations, inaugurées en 1972 et considérées par les habitants comme la principale cause de la pollution chronique affectant la ville côtière et ses oasis.

Selon l’activiste environnemental Khair Eddine Dabbia, ces émissions toxiques sont dues à « la vétusté des unités polluantes installées depuis 53 ans et à l’absence d’entretien ».

Il souligne également « une augmentation de la production sans lien avec la capacité réelle du site », estimant que la seule solution viable est le « démantèlement complet » de l’usine.

Dabbia dirige la campagne « Stop à la pollution » depuis une décennie, dénonçant les dommages causés à l’environnement et à la santé publique.

La campagne, ainsi que plusieurs études, affirment que les déchets rejetés par le complexe polluent les plages et les sols, détruisent les écosystèmes marins et provoquent une hausse anormale des maladies respiratoires et cancéreuses.

Des milliers d’habitants ont ainsi manifesté mercredi, à l’appel de cette campagne, pour exiger la fermeture des unités polluantes.

Les forces de sécurité ont dispersé les protestataires à coups de gaz lacrymogènes, alors que ceux-ci brandissaient des pancartes réclamant la « fin des crimes environnementaux » et « la justice climatique ».

« L’objectif de la manifestation a été atteint : le dossier de Gabès est désormais une priorité pour ses habitants », a déclaré Dabbia.

L’héritage des Frères musulmans

Sous le gouvernement des Frères musulmans, les autorités tunisiennes avaient promis en 2017 de démanteler le complexe – qui emploie près de 4000 personnes dans une région touchée par le chômage – et de le remplacer par une installation conforme aux normes environnementales internationales.

Mais rien de tout cela ne s’est concrétisé durant leurs années de pouvoir.

Un collectif d’avocats prévoit désormais de déposer une plainte contre le « Groupe chimique tunisien » au nom des élèves récemment intoxiqués.

Me Mehdi Talmoudi, président du comité de défense des élèves, a précisé qu’une première requête d’urgence serait déposée auprès du tribunal de première instance de Gabès pour suspendre les activités des unités polluantes, suivie d’une seconde plainte pour exiger leur démantèlement.

Le président tunisien Kaïs Saïed avait déjà demandé une multiplication par cinq de la production d’engrais phosphatés d’ici 2030 – de trois à quatorze millions de tonnes par an – pour profiter de la hausse des prix mondiaux.

La semaine dernière, il a attribué les cas d’intoxication et d’asphyxie à des problèmes de maintenance, envoyant d’urgence une délégation des ministères de l’Énergie et de l’Environnement à Gabès, bien que plusieurs experts doutent de la faisabilité d’une dépollution totale du site.

Pour sa part, Radhia al-Sarraï, 58 ans, atteinte d’un cancer et parente du jeune Ahmed, récemment hospitalisée pour intoxication, a perdu tout espoir : « Rien ne changera. Le complexe qui nous empoisonne restera là. »

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