Exclusif

Les coulisses du mécontentement du mouvement islamique envers Al-Burhan


Au Soudan, il est impossible de comprendre la scène politique et militaire sans examiner la relation complexe entre le général Abdel Fattah al-Burhan et le mouvement islamique. Depuis son accession au pouvoir, ce mouvement a constitué l’un de ses soutiens les plus influents. Cependant, les événements récents — notamment la chute de la ville d’El-Fasher — ont révélé la profondeur de la crise entre les deux parties et l’ampleur du mécontentement grandissant au sein des islamistes, qui se sentent exploités et trahis par un dirigeant en qui ils avaient placé leur confiance.

L’alliance de nécessité : un partenariat tactique

Des sources militaires confirment qu’au début du conflit, al-Burhan a cherché à renouer le contact avec les dirigeants du mouvement islamique pour garantir un avantage militaire sur les Forces de soutien rapide. Cette démarche ne découlait pas d’un véritable projet de coopération durable, mais d’un calcul tactique destiné à consolider sa mainmise sur les fronts de combat.

De leur côté, les islamistes espéraient rétablir une partie de leur influence politique perdue après la chute du régime d’Omar el-Béchir, en s’impliquant dans la gestion des affaires sécuritaires et militaires. Toutefois, l’alliance reposait dès le départ sur des intérêts immédiats et non sur une confiance mutuelle, ce qui allait devenir évident à mesure que la situation s’aggravait.

Des décisions qui ont attisé la colère

Ces derniers mois, al-Burhan a pris plusieurs mesures qui ont exacerbé la colère du mouvement islamique :

Écartement d’officiers influents : plusieurs cadres militaires affiliés au mouvement ont été déplacés vers des postes secondaires ou mis à la retraite anticipée, réduisant ainsi leur influence.
Gel de projets économiques : al-Burhan a pris le contrôle de secteurs économiques auparavant administrés par des figures islamistes, limitant leurs ressources et leur poids financier.
Réorganisation des forces conjointes : les nouvelles structures militaires ont affaibli la capacité du mouvement à orienter les opérations sur le terrain.

Ces décisions, loin d’être purement administratives, ont redéfini la nature du partenariat entre les deux camps. Elles ont envoyé un signal clair : al-Burhan considère les islamistes comme des outils temporaires plutôt que comme de véritables partenaires politiques.

El-Fasher : le moment de rupture

La chute d’El-Fasher a marqué un tournant décisif. Selon des témoignages de terrain, le manque de coordination entre les unités de l’armée et les forces proches des islamistes a entraîné l’effondrement rapide des défenses. Certains commandants islamistes ont refusé d’exécuter les ordres du commandement central, estimant qu’ils contournaient la hiérarchie.
Un membre influent du mouvement, sous couvert d’anonymat, a déclaré :
« Nous avons eu le sentiment d’être réduits à de simples instruments. Al-Burhan ne tenait plus compte de notre expertise militaire. El-Fasher a tout révélé. »

Cet échec militaire a mis en lumière la désorganisation interne du mouvement islamique et provoqué des réunions secrètes pour évaluer l’avenir du partenariat. Certains cadres ont plaidé pour la création d’une structure militaire indépendante, tandis que d’autres ont insisté sur la nécessité de maintenir le lien avec al-Burhan afin d’éviter une rupture totale.

Colère et divisions internes

Les discussions internes ont mis en évidence de profondes fractures. Une faction du mouvement estime qu’une coopération limitée reste possible, à condition de redéfinir les termes du partenariat pour préserver leurs intérêts. D’autres, en revanche, considèrent qu’al-Burhan a trahi les ententes tacites, transformant les islamistes en instruments provisoires.

Sur le terrain, les combattants ressentent également un désenchantement croissant. Beaucoup estiment que leurs dirigeants ont perdu le contrôle, et qu’ils sont engagés dans des opérations sans réelle stratégie politique, ce qui accentue la distance entre la base et la direction.

Les fractures au sein des forces conjointes

La crise a également touché d’autres factions alliées à l’armée. Certaines formations armées ont annoncé leur retrait partiel ou une redéfinition de leurs loyautés. Le résultat a été une désorganisation accrue et un affaiblissement de la performance militaire, notamment dans la région du Darfour.

Ces divisions ont mis en lumière la fragilité du pacte entre al-Burhan et les islamistes, tout en alimentant l’inquiétude des puissances régionales et internationales quant à la capacité du régime militaire à maintenir la cohésion.

Perte de confiance régionale

La crise interne a eu des répercussions extérieures. Des capitales arabes comme Le Caire, Abou Dhabi et Riyad réévaluent désormais leur position vis-à-vis d’al-Burhan. Les observateurs notent un scepticisme croissant quant à sa capacité à gérer ses alliances, à la suite des échecs répétés de coordination et des revirements politiques.

Les conséquences politiques et les scénarios futurs

L’effritement de la confiance entre al-Burhan et le mouvement islamique a paralysé l’efficacité du gouvernement militaire. Les décisions se prennent avec lenteur, les opérations manquent de cohérence, et le système politique semble plongé dans une confusion croissante.

Les perspectives demeurent incertaines : les islamistes oscillent entre le maintien d’un partenariat minimal et la rupture définitive. Al-Burhan, lui, tente de préserver un équilibre fragile — contenir les islamistes sans leur redonner trop de pouvoir. Une erreur de calcul pourrait provoquer l’effondrement complet de l’alliance.

L’analyse montre donc que le lien entre al-Burhan et le mouvement islamique repose désormais sur des intérêts circonstanciels. Les mesures de marginalisation, la défaite d’El-Fasher et les divisions internes ont rendu cette alliance vacillante. Les islamistes se sentent trahis et manipulés, tandis qu’al-Burhan s’enfonce dans un isolement croissant, confronté à un double défi : un soutien intérieur déclinant et une perte de crédibilité régionale.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page