Le Mali entre crise du carburant et expansion du terrorisme : Al-Qaïda aux portes de Bamako ?
La situation au Mali devient chaque jour plus complexe, notamment en raison de l’expansion des groupes terroristes, selon plusieurs experts politiques. Mais Bamako est-elle réellement menacée ?
Les analystes estiment que la réalité malienne est bien plus nuancée que celle souvent présentée dans les médias internationaux, malgré le ton alarmiste croissant, notamment dans un rapport du journal américain The Wall Street Journal intitulé : « Al-Qaïda sur le point de prendre le contrôle d’un État ».
Depuis septembre dernier, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a annoncé avoir imposé un blocus sur les approvisionnements en carburant destinés à Bamako. Cette décision répondait à une mesure gouvernementale interdisant la vente de carburant dans les zones rurales afin de limiter la mobilité et la logistique des groupes armés.
Depuis, les routes menant à la capitale se sont transformées en lignes de front. Les djihadistes ont pris pour cible des camions de transport de carburant circulant entre Dakar et Abidjan, provoquant l’incendie de dizaines de véhicules et une pénurie sévère à travers le pays.
Résultat : stations-service vides, files d’attente interminables, villes paralysées. Ces scènes ont poussé plusieurs gouvernements occidentaux — dont les États-Unis, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne — à recommander à leurs ressortissants de quitter immédiatement le Mali.
Bamako est-elle sur le point de tomber ?
Le Dr Bruno Charbonnier, chercheur spécialiste du terrorisme au Sahel et des relations franco-africaines à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris, a déclaré : « La capitale est encerclée, mais elle n’est pas menacée de chute. Ce qui se joue actuellement n’est pas une offensive militaire pour s’emparer de Bamako, mais une stratégie de pression visant à épuiser économiquement et socialement le pouvoir en place. »
Il souligne que les groupes terroristes n’ont pas besoin de chars pour exercer une influence politique : il leur suffit d’interrompre l’approvisionnement en carburant pour paralyser le pays. Selon lui, la capacité militaire nécessaire pour envahir une ville de 3,5 millions d’habitants, dotée de la plus grande base militaire du pays, dépasse largement les moyens du JNIM.
Une érosion de l’État plus dangereuse que la chute de la capitale
Le Dr Tristan Fortier, chercheur en sécurité dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, partage cette inquiétude tout en estimant que la bataille ne se joue pas sur les villes.
Il explique : « L’objectif des groupes djihadistes n’est pas d’occuper les capitales, mais de vider l’État de sa substance : forcer les zones rurales à signer des accords d’allégeance, imposer la zakat, fermer les écoles, réguler la tenue des femmes et interdire l’accès de l’armée à leurs villages. »
« Si cette domination rurale s’étend, poursuit-il, le Mali pourrait ne plus exister que sur le papier, réduit à son administration à Bamako, tandis que le reste du territoire serait morcelé entre zones d’influence. »
Pour lui, le blocus économique est avant tout un test politique : il vise à retourner la population contre le gouvernement.
Un risque d’effondrement politique plus que militaire
Le chercheur malien Dr Aboubakar Haidara, de l’Université de Bamako, nuance également la menace. Selon lui, « le JNIM ne possède ni chars, ni missiles, ni avions. Ses combattants se déplacent en petits groupes armés légers. Pour prendre Bamako, il faudrait des milliers d’hommes et des lignes d’approvisionnement continues — ce qu’ils n’ont pas. »
Il ajoute : « Le danger réel n’est pas l’entrée dans la capitale, mais la perte de confiance interne. Si le siège se prolonge et que la crise du quotidien s’aggrave, une partie de la population pourrait se retourner contre le pouvoir. Al-Qaïda mise sur le mécontentement social plus que sur la force militaire. »
Le chercheur rappelle que l’armée malienne est bien plus solide qu’en 2012, après des années de combats et un partenariat militaire renforcé avec la Russie. Le pays dispose désormais d’armes terrestres et aériennes modernes qui renforcent considérablement ses capacités défensives.
Pourquoi les groupes terroristes dominent-ils les zones rurales ?
La revue Jeune Afrique note que malgré les gros titres alarmistes sur une prétendue « Bamako assiégée par Al-Qaïda », la réalité est plus complexe. Le Mali est un pays vaste, de plus de 1,24 million de km², ce qui rend tout déploiement militaire total quasi impossible.
Même avec l’augmentation des effectifs et l’entraînement de nouvelles unités, l’armée reste incapable de couvrir l’ensemble du territoire, en particulier les zones rurales, terrain privilégié des groupes armés.
Dans ces régions reculées, les djihadistes évitent les affrontements directs. Leur stratégie repose sur des cellules mobiles, discrètes et rapides : frapper, puis disparaître. Quelques dizaines d’hommes suffisent pour bloquer une route, attaquer un convoi ou imposer un blocus à un village.
Quand les populations n’ont plus les moyens de résister, les groupes proposent une « trêve locale » : un accord qui place la communauté sous leur contrôle en échange de la fin des attaques. C’est ainsi que se redessine la carte du pouvoir, non par l’occupation militaire, mais par la soumission contrainte et une gouvernance de l’ombre.
