L’Autorité des présidences libyennes : un pas vers l’unité ou un nouvel obstacle à la sortie de crise ?
Dans un paysage politique libyen marqué par les tensions et les rivalités, la scène revient une fois de plus à un état de recomposition après l’annonce de la création de l’Autorité supérieure des présidences.
Certains y voient une tentative de réunifier la prise de décision nationale, tandis que d’autres estiment que cette initiative pourrait complexifier davantage le processus politique et approfondir les divisions persistantes depuis des années.
Jeudi, la capitale Tripoli a accueilli une réunion entre le président du Haut Conseil d’État consultatif, Mohammed Takala, le président du Conseil présidentiel, Mohammed al-Menfi, le membre du Conseil présidentiel Abdullah al-Lafi, et le chef du gouvernement d’unité nationale en fin de mandat, Abdelhamid Dbeibah. Les discussions ont porté sur les mécanismes de coordination du processus décisionnel et sur la gestion des défis politiques, économiques et sécuritaires.
Au cours de la réunion, il a été annoncé la création de « l’Autorité supérieure des présidences », présentée comme un organe de coordination regroupant les trois institutions, avec pour objectif d’instaurer une méthodologie unifiée de prise de décision et d’harmoniser le discours officiel concernant les questions liées à la souveraineté libyenne, à la cohésion sociale et à l’économie nationale.
Les trois présidences affirment que la création de cette structure répond aux impératifs de la période actuelle et appellent les autres institutions souveraines à rejoindre ce processus afin de renforcer la stabilité et construire un État libyen unifié, capable de défendre sa souveraineté et ses ressources.
Absence de la Chambre des représentants
La Chambre des représentants libyenne, soutenue par l’Armée nationale libyenne et le gouvernement issu de l’Est du pays, n’a pas pris part à la réunion. À l’heure de la rédaction de ce rapport, elle n’a publié aucun commentaire concernant cette initiative.
Une décision sans fondement
Le chercheur et analyste politique libyen Mohammed Mtaired a déclaré que la décision manque de légitimité constitutionnelle. Selon lui, « toute décision prise par le Conseil présidentiel sans se référer à la Chambre des représentants est dépourvue de base juridique, conformément à l’accord de Skhirat. Ce qui a été annoncé aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une déclaration symbolique, sans capacité à instaurer une nouvelle entité légitime ni s’appuyer sur un cadre légal permettant la création d’une telle instance ».
Il a ajouté que le Conseil présidentiel, le gouvernement d’unité et le Haut Conseil d’État constituent, selon lui, des « organes parallèles », estimant qu’ils exercent un rôle de contournement des institutions légitimes de l’État et contrôlent la scène politique en dehors du cadre législatif, tout en se présentant au public comme des promoteurs d’un État civil.
Un facteur d’unité ou de division ?
Dans le même contexte, l’activiste et analyste politique libyen Wasim Tajeddin a rappelé que le gouvernement d’unité nationale était chargé d’organiser les élections de décembre 2021, mais n’a pas honoré ses engagements. Il estime qu’il est devenu un acteur du conflit au lieu de jouer le rôle de gouvernement d’unité. Selon lui, ce gouvernement ne représente plus que certains groupes.
Tajeddin affirme également que le gouvernement a renoncé à sa promesse de ne pas présenter son chef aux élections, ce qui a entravé le processus électoral. Il souligne qu’il a soutenu des groupes armés se revendiquant de son autorité, puis s’en est démarqué après que ceux-ci ont commis des violations, illustrant un manque de cohérence dans la gestion de la période transitoire.
Pourquoi maintenant ?
Il s’interroge sur les motivations derrière la création de cette autorité à ce moment précis. Selon lui, cette annonce intervient alors que des efforts sont déployés pour former un gouvernement unifié à l’échelle nationale, tandis que les mêmes institutions à l’origine de l’initiative sont celles qui ont contribué à la division actuelle. Cela soulève des interrogations sur les véritables objectifs de cette démarche.
Il estime que le timing peut être interprété comme une tentative de redéploiement politique et de pression sur les initiatives visant à mettre en place un gouvernement consensuel doté de prérogatives claires et d’un mécanisme de contrôle.
La feuille de route onusienne
Bien que la mission des Nations unies ait annoncé, le 12 août dernier, un plan visant à unifier l’exécutif et à préparer la tenue d’élections, les progrès concrets demeurent limités sur le terrain, en raison de profondes divergences entre les institutions politiques et les structures étatiques, toujours divisées entre l’Est et l’Ouest.
Selon plusieurs observateurs, les processus de réconciliation et la transition politique nécessitent encore un consensus interne plus large. Ils estiment qu’aucun soutien externe, aussi important soit-il, ne pourra produire des résultats tangibles tant qu’il ne sera pas accompagné de mesures libyennes concrètes et coordonnées.
