Exclusif

L’armée dans le luxe, le peuple dans la mort lente : le Soudan face à un effondrement total


Le Soudan ne connaît plus seulement une crise sanitaire : il est plongé dans un profond désastre politique qui se manifeste par l’effondrement total du secteur des services, en particulier de la santé. La propagation de maladies mortelles comme la dengue et le paludisme dans les États de Khartoum, Al-Jazira et le Nord n’est pas un accident isolé ni le simple résultat de variations climatiques. Elle reflète directement l’échec de l’État et la désintégration de ses institutions dans un contexte de conflit politique et militaire qui ignore la vie des citoyens.

Depuis le début des affrontements entre l’armée et les Forces de soutien rapide, les hôpitaux sont devenus les premières victimes de ce conflit. Plus de 160 hôpitaux publics et privés sont hors service à cause des bombardements, du manque de carburant ou de la fuite des personnels médicaux. Ces chiffres illustrent l’ampleur de l’effondrement, mais ils dissimulent une crise encore plus profonde : l’absence d’autorité capable de gérer l’État et de garantir la continuité des services essentiels. L’armée se concentre sur la sécurisation de ses positions, les Forces de soutien rapide cherchent à étendre leur influence, tandis que le citoyen ordinaire reste seul face à la maladie et à la mort.

Sur le plan politique, la crise sanitaire traduit la fragilité de la légitimité revendiquée par chaque partie au conflit. Un État incapable de fournir des médicaments ou de l’électricité à ses hôpitaux, laissant ses citoyens mourir dans les rues faute d’ambulances, perd sa raison d’être. L’armée, qui se présente comme le protecteur de la nation, voit ses dirigeants se réfugier dans des hôtels de luxe à l’étranger tandis que soldats et civils meurent sur le terrain, ce qui détruit l’image même de l’institution en tant que porteur d’un projet national. Ce paradoxe accentue l’érosion de la confiance populaire et nourrit la colère contre les élites militaires.

Le plus inquiétant est que l’effondrement du secteur de la santé menace de transformer le Soudan en foyer régional d’épidémies. Les frontières ouvertes avec le Tchad, l’Éthiopie et l’Égypte font du paludisme et de la dengue une menace dépassant largement le territoire national. Ce constat confère à la crise sanitaire une dimension politique internationale : la santé des Soudanais devient une question de sécurité régionale nécessitant l’intervention des pays voisins pour se protéger. La question cruciale se pose alors : comment le Soudan pourrait-il retrouver son rôle d’État fonctionnel s’il est incapable de protéger ses citoyens contre une épidémie interne ?

La dimension économique de la crise est tout aussi critique. Le citoyen incapable d’acheter des médicaments est souvent le même qui a perdu son emploi à cause de l’arrêt des usines et des fermes. L’effondrement économique amplifie l’effondrement sanitaire, et vice versa, dans un cercle vicieux conduisant le pays vers un abîme sans précédent. Politiquement, cette situation reflète l’incapacité des élites à gérer les ressources pour le bien du peuple. Le Soudan, riche en ressources naturelles et agricoles, est aujourd’hui confronté à une famine sanitaire et économique en raison de la corruption et de la mauvaise gestion.

Dans ce contexte, la prospérité des dirigeants militaires et leur rôle dans l’alimentation de la crise prennent une acuité particulière. Pendant que les citoyens meurent faute de pansements et de solutions médicales de base, les généraux voyagent à l’étranger pour se soigner ou pour leurs vacances. Ce contraste n’illustre pas seulement un manque d’humanité, il révèle que la crise sanitaire est devenue un instrument politique : laisser le peuple souffrir pour le soumettre et le contraindre. Il s’agit d’une politique de « famine par la maladie » déjà observée dans d’autres zones de conflit, mais au Soudan, elle prend une dimension plus grave en affectant la capitale et les centres stratégiques.

La communauté internationale ne peut plus invoquer la neutralité. La crise dépasse désormais le cadre interne pour devenir une menace humanitaire et sécuritaire majeure. Pourtant, l’intervention reste lente et timide, conditionnée par les calculs politiques liés au conflit entre l’armée et les Forces de soutien rapide. Les organisations onusiennes sont conscientes de la gravité de la situation mais se heurtent à l’absence de corridors humanitaires sûrs et à la bureaucratie du pouvoir qui instrumentalise l’aide comme levier de négociation. Ce retard soulève des questions sur l’efficacité du système international pour protéger les civils lorsque leur vie devient un outil de pression.

Politiquement, l’effondrement sanitaire peut accélérer la désintégration de l’autorité militaire. Lorsque les citoyens comprennent que l’État n’est plus capable d’assurer ses fonctions fondamentales, le ressentiment et la révolte s’intensifient. Cette colère pourrait se traduire par des formes de résistance civile ou par de nouvelles alliances modifiant l’équilibre des pouvoirs. L’histoire du Soudan montre que les révoltes naissent souvent de la souffrance sociale plutôt que de la politique classique. Aujourd’hui, la maladie pourrait être l’étincelle qui redéfinit entièrement le paysage politique.

Mais le danger réside aussi dans le fait que cet effondrement ouvre la porte à des forces extrémistes ou à des milices armées qui se présentent comme des alternatives à l’État. En l’absence de services essentiels, les communautés recherchent toute force capable d’assurer un minimum de sécurité ou de soins, même illégitime. Ce scénario conduirait à davantage de fragmentation et de chaos, compliquant la reconstruction future de l’État.

Ainsi, la responsabilité des forces civiles soudanaises est plus grande que jamais. Plutôt que de se limiter à critiquer les parties en conflit, elles doivent proposer un projet réaliste pour sauver les services publics restants, en priorité le secteur de la santé. Cette tâche peut sembler presque impossible en temps de guerre, mais elle est essentielle pour restaurer la confiance du citoyen et démontrer qu’une alternative politique viable existe.

En conclusion, l’effondrement sanitaire au Soudan n’est pas seulement une conséquence de la guerre ; il reflète également l’échec politique et la perte de la fonction étatique. La mort des Soudanais par paludisme et dengue révèle que les autorités ont abandonné leur responsabilité fondamentale. Ce désastre, avec toutes ses tragédies, constitue un moment critique où le pays doit choisir : continuer dans le cycle d’échec et de chaos jusqu’à l’effondrement complet, ou reconstruire l’État sur de nouvelles bases, rétablissant au citoyen son droit à la vie avant toute autre priorité.

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page