La Turquie prolonge sa présence militaire en Irak, en Syrie et au Liban

Ankara utilise la couverture sécuritaire pour faire face à des défis plus vastes, notamment la redéfinition des zones d’influence dans le nord de l’Irak et de la Syrie, l’équilibrage du rôle iranien dans la région, et le maintien de sa position au sein du cercle d’influence régional, en particulier sur la scène méditerranéenne.
La présidence turque a présenté mardi au Parlement un mémorandum demandant la prolongation des missions de l’armée turque en Irak, en Syrie et au Liban pour de nouvelles périodes. Cette initiative traduit la détermination d’Ankara à poursuivre sa stratégie sécuritaire et militaire au-delà de ses frontières, malgré les controverses politiques internes et régionales entourant ces opérations.
Concernant le Liban, la présence turque n’y revêt pas un caractère militaire indépendant comme en Irak ou en Syrie. Elle s’inscrit dans le cadre de la participation de la Turquie à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), déployée dans le sud du pays depuis 1978. Ankara y contribue par un contingent limité de soldats et d’ingénieurs militaires, opérant sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de soutenir la stabilité à la frontière libano-israélienne et d’apporter une aide humanitaire et logistique aux populations locales.
Ainsi, la prolongation demandée par la présidence turque dans ce contexte constitue une mesure protocolaire relative à la poursuite de la contribution d’Ankara à une mission onusienne, et non une autorisation d’intervention militaire directe ou d’un déploiement autonome sur le sol libanais. Selon le texte du mémorandum signé par le président Recep Tayyip Erdoğan, le gouvernement sollicite une nouvelle autorisation de trois ans supplémentaires pour l’Irak et la Syrie, et de deux ans pour le Liban, dans le cadre de la FINUL.
Le Parlement doit examiner ces mémorandums lors de sa session plénière prévue la semaine prochaine, dans un climat de division entre les partis turcs quant à la portée politique et stratégique de cette prolongation.
Cette décision intervient à la veille de l’expiration de l’autorisation légale actuelle permettant au président d’envoyer des troupes à l’étranger — un mandat qu’Ankara renouvelle régulièrement depuis 2003 dans le cadre de ce qu’elle qualifie d’« opérations antiterroristes » contre les organisations kurdes considérées comme des menaces à la sécurité nationale, notamment le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les Unités de protection du peuple (YPG). Toutefois, cette prolongation de trois ans représente le mandat le plus long jamais accordé, traduisant la volonté de la direction turque de consolider une présence militaire durable dans le nord de l’Irak et de la Syrie, tout en élargissant sa marge de manœuvre opérationnelle sans contraintes temporelles fréquentes.
Cette initiative a suscité de vives critiques du Parti démocratique des peuples (HDP), qui a dénoncé un « ancrage de l’ingérence turque dans les affaires d’autres États ». La vice-présidente du groupe parlementaire, Kılıç Koçyiğit, a déclaré que « ces mémorandums appellent à augmenter les effectifs militaires au lieu de les réduire, ce qui dépasse le principe de défense nationale pour porter atteinte à la souveraineté des pays voisins », estimant que cette approche est « illégale et illégitime ».
Des observateurs soulignent qu’Ankara recourt à la justification sécuritaire pour répondre à des enjeux géopolitiques plus larges : redéfinir les équilibres d’influence dans le nord de l’Irak et de la Syrie, contrebalancer la présence iranienne, et maintenir un rôle central dans les discussions avec Washington et Moscou sur l’avenir des dispositifs sécuritaires au Moyen-Orient. D’autres estiment que la prolongation de la présence turque au Liban, bien qu’encadrée par un mandat onusien, s’inscrit également dans la volonté d’Ankara de préserver son influence régionale, notamment en Méditerranée orientale.
Bien que le gouvernement turc justifie ses décisions par des impératifs de défense préventive et de lutte contre le terrorisme, la répétition de ces extensions sans perspective politique claire soulève des interrogations sur un possible glissement d’une logique de « sécurité anticipée » vers la construction d’un ancrage géopolitique durable. À l’approche du vote parlementaire, il semble que le débat sur les limites de l’interventionnisme turc à l’étranger ne soit pas près de s’éteindre, tant les dimensions sécuritaires, politiques et légales demeurent étroitement imbriquées.