La mémoire amère du déplacement empêche les habitants de fuir vers le sud… Récits douloureux au cœur de Gaza

C’est le dilemme déchirant des habitants de Gaza : fuir vers l’humiliation et l’incertitude de l’exil, ou rester et affronter les bombardements de la guerre.
Ilham Chomali, comme des centaines de milliers d’habitants de Gaza, est confrontée à un choix douloureux. Doit-elle s’enfuir avec sa famille, une fois de plus, pour revivre l’amertume du déplacement et de l’exil, ou défier les ordres d’évacuation israéliens avant une offensive qui s’annonce massive contre la plus grande ville de la bande de Gaza ? C’est ce qu’a rapporté le New York Times.
Âgée de 47 ans, Chomali avait déjà fui sa maison au début de la guerre, il y a presque deux ans, avant de revenir lorsque le sud de Gaza était devenu trop dangereux.
Cette fois-ci, elle affirme que sa famille se déplacera dans un autre quartier de la ville, qu’elle estime plus sûr en cas d’attaque israélienne. Mais elle insiste : ils ne quitteront pas Gaza.
« Nous savons que si nous partons, nous ne reviendrons jamais », explique-t-elle. Beaucoup de ses voisins partagent ce sentiment.
La méfiance envers Israël
Mardi dernier, l’armée israélienne a ordonné à tous les habitants d’évacuer Gaza-Ville, annonçant une offensive totale pour la contrôler. Déjà, près de 40 % de la ville sont tombés sous son contrôle, et plusieurs immeubles ont été bombardés.
Pourtant, de nombreux habitants affirment qu’ils ne peuvent pas, ou ne veulent pas, partir. Dans leurs témoignages au New York Times, plusieurs Palestiniens expliquent qu’ils n’ont aucune confiance en Israël pour leur permettre de rentrer s’ils quittent leurs maisons.
Certains évoquent l’absence de moyens financiers, d’autres la nécessité de soins médicaux introuvables ailleurs. Presque tous ont déjà été déplacés au moins une fois depuis le début de la guerre, beaucoup à plusieurs reprises. Et tous répètent : nulle part dans Gaza n’est vraiment sûr.
Le docteur Bakr Jaoud, médecin à l’hôpital Nasser pour enfants, dont le fils Saïf al-Din, âgé de 11 ans, souffre d’épilepsie, confie : « Je ne peux pas quitter Gaza pour le sud. C’est impossible ». Les médicaments manquent déjà, dit-il, et la situation serait encore pire plus au sud.
La peur de rester, la douleur de partir
Israël considère Gaza-Ville comme un bastion du Hamas et affirme devoir en prendre le contrôle total pour éliminer les combattants. Elle a appelé les civils à se réfugier dans la zone d’al-Mawassi, sur la côte sud, qu’elle a présentée comme une « zone humanitaire ».
Mais avant même la guerre, cette zone n’avait ni infrastructures, ni eau, ni assainissement, ni abris suffisants. Depuis, des bombardements israéliens répétés y ont tué des dizaines de personnes, malgré son statut présumé de refuge.
Ceux qui choisissent de rester décrivent la terreur de voir leurs voisins empaqueter en hâte leurs maigres affaires. Hidaya al-Falouji, 30 ans, refuse de partir avec ses enfants. Sa maison à Jabalia a été détruite, son mari et son frère tués par une frappe aérienne. Pour elle, l’idée de quitter encore une fois, après avoir déjà vécu dans une tente, est insupportable : « J’ai pleuré tout le chemin la dernière fois. Je n’abandonnerai pas Gaza. Je préfère mourir ici que de quitter ma ville ».
Des souvenirs traumatisants
Beaucoup refusent de partir car les souvenirs du déplacement sont trop lourds. Mohammed al-Najjar, 36 ans, photographe indépendant, raconte son année passée au sud avec sa femme et ses deux enfants avant la guerre. Pour lui, le sud n’offre aucune sécurité ni ressources.
Construire une tente à al-Mawassi coûterait environ 1 000 dollars, explique-t-il. « Si je pars maintenant, je ne reverrai plus jamais Gaza comme je la connais. Même si je reviens, la ville sera détruite ».
Ilham Chomali exprime la même crainte : le sud n’est pas sûr, l’armée y tue comme dans le nord. Sa famille préfère chercher refuge dans un quartier plus à l’ouest de Gaza-Ville.
Quant au docteur Jaoud, il reste avant tout pour être près de l’hôpital, afin de soigner les blessés et de poursuivre le traitement de son fils. Il a déjà perdu 18 membres de sa famille, dont son frère et son neveu, et vit désormais sous une tente près de la plage, exposé aux bombardements nocturnes.