Politique

La guerre au Soudan : plusieurs scénarios imposés par des évolutions tactiques


Les affrontements se poursuivent dans la capitale Khartoum, ainsi qu’à Al-Jazirah et Al-Fashir, dans un contexte de progression et de repli tactiques, avec une intensification de l’utilisation des drones kamikazes.

Ces développements sur le terrain laissent les scénarios de la guerre au Soudan ouverts à toutes les possibilités, malgré près de deux années de conflit.

Des sources militaires ont indiqué, ce vendredi, que l’armée soudanaise a pris le contrôle de la zone d’Ad Babakr et du campus universitaire de la région d’Ash-Sharq an-Nil, alors que de violents affrontements étaient entendus et que des flammes et des nuages de fumée s’élevaient dans le ciel.

D’après ces sources, les forces armées soudanaises progressent en profondeur dans la capitale Khartoum et cherchent à s’emparer du palais présidentiel.

Elles ont également signalé que les Forces de Soutien Rapide (FSR) ont renforcé leurs unités de combat et déployé des tireurs d’élite sur les toits des immeubles afin de protéger le palais présidentiel, ainsi que les installations militaires et les institutions gouvernementales sous leur contrôle dans la capitale.

Expansion du conflit

Avec l’élargissement du champ de bataille, des sources militaires ont indiqué que les FSR ont lancé, à l’aube de ce vendredi, des drones kamikazes contre les villes de Merowe et d’Ad-Dabbah, situées dans l’État du Nord.

Selon ces mêmes sources, les défenses anti-aériennes de l’armée soudanaise ont réussi à abattre ces drones avant qu’ils ne causent des pertes humaines.

Elles ont aussi précisé que les FSR ont procédé à un repli tactique de certaines de leurs unités des États de Khartoum et d’Al-Jazirah, en direction de l’ouest, vers le Darfour.

Ce retrait vise à renforcer leur présence à Al-Fashir, dans le but d’encercler et de contrôler la ville, afin d’étendre leur emprise sur toute la région du Darfour, après avoir déjà pris le contrôle des villes d’El-Geneina, Nyala, Zalingei et Ed-Da’ain.

D’après les sources militaires, l’objectif actuel des FSR est d’imposer leur domination sur la région du Darfour, dont la superficie est équivalente à celle de la France.

Différents scénarios possibles

À ce sujet, l’analyste politique Amir Babakr explique : « Bien que le Soudan ait connu, depuis son indépendance, des guerres continues entre le gouvernement central et les mouvements rebelles, ce conflit est différent, car il oppose des parties qui faisaient toutes partie du pouvoir. »

Il poursuit : « Dans les conflits précédents, les combats se déroulaient en périphérie du pays, loin des grandes villes. Les groupes rebelles ne cherchaient pas à s’emparer des centres urbains, mais plutôt à affaiblir les capacités militaires et économiques du gouvernement en place. Jamais nous n’avions assisté à des assauts massifs ou à une tentative de prise de contrôle de grandes villes. »

Il ajoute : « Si l’on se réfère à l’expérience du Mouvement populaire de libération du Soudan avant l’Accord de Naivasha, jamais il n’a pris le contrôle d’une ville majeure du Sud. Pourtant, cela n’a pas empêché la signature d’un accord avec le gouvernement central, qui a ensuite conduit au référendum sur l’indépendance et à la création du Soudan du Sud. »

Il insiste sur le fait que « le conflit actuel a éclaté au cœur même des villes, y compris la capitale Khartoum, opposant des forces qui étaient déjà implantées dans ces centres urbains et qui collaboraient étroitement avant l’éclatement des hostilités. »

Il estime que « la progression de l’armée est logique après avoir encaissé le choc initial, alors que les FSR ont reculé jusqu’à leur position de départ. »

Toutefois, il tempère : « Malgré ce recul à Khartoum et dans l’État d’Al-Jazirah, les FSR restent solidement implantées dans les cinq États du Darfour et contrôlent toutes leurs capitales et principales villes, à l’exception d’Al-Fashir, qui demeure assiégée sans être encore tombée sous leur contrôle. »

Il conclut : « Certains estiment que la prise d’Al-Fashir par les FSR entraînerait l’indépendance du Darfour, mais cette lecture est erronée. En effet, un territoire peut obtenir son indépendance sans nécessairement contrôler sa capitale, comme ce fut le cas lors de la sécession du Soudan du Sud sans la prise de Juba, Malakal ou Wau. »

Évolutions tactiques

De son côté, l’analyste politique Mohamed Al-Mukhtar affirme que l’avancée des forces de l’armée soudanaise à Khartoum ne se limite pas au nord de l’État d’Al-Jazirah, mais se fait depuis plusieurs axes, notamment après le retrait progressif des FSR de Wad Madani (capitale de l’État d’Al-Jazirah) et de la raffinerie d’Al-Jaili (au nord de Bahri). Ces forces se sont ensuite repliées vers Khartoum et la région d’Ash-Sharq an-Nil, révélant ainsi un changement tactique dans la conduite de la guerre.

Il ajoute : « Si les FSR cherchent à consolider leur présence à Khartoum et à la défendre, comme elles l’avaient fait durant les premiers mois du conflit en verrouillant les accès à la capitale et en tendant des embuscades à l’armée, avant d’élargir leur présence jusqu’à Wad Madani, Sinja et l’État du Nil Bleu, cela signifie qu’elles tentent d’épuiser à nouveau l’armée en multipliant les fronts dans d’autres États. »

Il poursuit : « En revanche, si l’armée poursuit son avancée et parvient à s’emparer de certaines parties de Khartoum, une question se pose : où sont passées les forces des FSR qui se sont retirées d’Al-Jazirah et de la raffinerie d’Al-Jaili, ainsi que celles qui étaient déjà présentes à Khartoum ? »

Il conclut : « Par conséquent, la guerre pourrait prendre une tournure encore plus violente dans les semaines à venir. On le constate déjà avec l’intensification des frappes aériennes de l’armée sur Nyala et l’accélération des attaques des FSR sur Al-Fashir dans le but d’en prendre le contrôle total. »

Depuis la mi-avril 2023, l’armée soudanaise et les FSR s’affrontent dans une guerre qui a fait plus de 20 000 morts et environ 14 millions de déplacés et réfugiés, selon l’ONU et les autorités locales. Une étude menée par des universités américaines estime, quant à elle, que le nombre de morts pourrait atteindre 130 000.

Les appels internationaux se multiplient pour mettre un terme au conflit et éviter une catastrophe humanitaire au Soudan, où des millions de personnes sont menacées par la famine et la mort en raison du manque de nourriture provoqué par les combats, qui ont touché 13 des 18 États du pays.

 

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page