Icônes qui avancent sur chenilles… Le secret derrière les noms des chars américains
Depuis le grondement du premier char sur les champs de bataille, ces machines n’ont jamais été de simples instruments de guerre : elles sont devenues une mémoire d’acier, portant les noms d’hommes qui ont façonné l’histoire.
À chaque nouvelle génération de chars américains, ce lien symbolique entre l’acier et les chefs militaires dont les carrières ont dépassé le cadre du temps se renouvelait, transformant leurs noms en icônes mobiles sur chenilles, porteuses de l’héritage des batailles qu’ils ont menées ou des doctrines qu’ils ont établies.
Comment la tradition de nommer les chars d’après des généraux a-t-elle commencé ?
Ce n’est pas aux États-Unis mais au Royaume-Uni que cette tradition a pris forme.
Le char de combat principal américain M1 Abrams est entré en service en 1980. Grâce aux mises à niveau et au développement constant dont il a bénéficié, il est presque certain qu’il restera le char principal des forces américaines jusqu’aux années 2040, ce qui signifie une durée de service pouvant atteindre soixante ans ou davantage, selon The National Interest. Cela dépasse d’environ deux décennies les 38 années de service du général Creighton Abrams, qui dirigea les forces américaines durant la phase finale de la guerre du Viêt Nam.
Abrams, grand amateur de cigares, est décédé quelques jours avant ses soixante ans. Il est probable qu’il aurait considéré comme un très grand honneur qu’un char porte son nom, en particulier un modèle doté d’un historique opérationnel aussi impressionnant.
Le M1 Abrams fut également le dernier né d’une série de chars américains portant les noms de généraux de premier plan.
Tous les chars portent-ils des noms de généraux ?
Selon The National Interest, si tous les chars ne portent pas forcément des noms de généraux, chaque véhicule ayant reçu un nom jusqu’ici fait référence à une figure militaire de haut rang.
Cette tradition a commencé avec le développement du M3, et les Britanniques y ont largement contribué. À l’époque, l’armée américaine ne voyait pas l’intérêt d’attribuer des noms aux véhicules terrestres. Ainsi, la version américaine du char français Renault FT s’appelait simplement M1917, suivie du char léger M1, du véhicule de combat M1, puis du char léger M2.
Les choses ont changé lorsque les Britanniques, ayant un besoin urgent de chars, ont acheté le M3 moyen et lui ont donné un nom.
Deux versions du M3 existaient : l’une dotée d’une tourelle américaine, que l’armée britannique a baptisée Lee, en référence au général confédéré Robert E. Lee ; l’autre équipée d’une tourelle britannique, baptisée Grant en hommage au général unioniste Ulysses S. Grant.
La raison précise du choix de Lee et Grant reste incertaine, mais il est évident que les Britanniques tenaient à honorer des chefs militaires américains, sans choisir ceux qui avaient combattu contre eux, tels que Nathanael Greene, Horatio Gates ou Henry Knox.
Les Britanniques ont poursuivi sur cette voie en donnant à la version légère M3 (et plus tard M5) le nom du général confédéré J. E. B. Stuart, célèbre pour ses actions audacieuses de cavalerie. Le nom convenait parfaitement, le char étant utilisé principalement pour des missions de reconnaissance.
Quant au char moyen M4, il a reçu le nom désormais célèbre de Sherman, d’après le général unioniste William Tecumseh Sherman. Après l’entrée en guerre des États-Unis, les Sherman sont devenus essentiels dans les campagnes d’Afrique, d’Italie et d’Europe, et même en Eurasie, où ils furent livrés à l’Union soviétique dans le cadre du programme Lend-Lease.
Le dernier char de la Seconde Guerre mondiale nommé d’après un général américain fut le M24 léger, baptisé en l’honneur du général Adna R. Chaffee Jr., considéré comme le père des forces blindées américaines.
La tradition se poursuit
L’armée américaine adopta ensuite cette tradition, donnant à ses chars les noms de généraux. Le premier fut le M26 Pershing, entré en service à la fin de la Seconde Guerre mondiale puis durant la guerre de Corée, et nommé en hommage au général John J. Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain durant la Première Guerre mondiale.
Le char lourd M103 ne reçut pas de nom, mais l’armée honora le général George S. Patton en donnant son nom aux M46, M47 et M48. Le M60, bien qu’il ne soit pas officiellement appelé Patton, est considéré comme une évolution de cette lignée.
Dans les années 1950, le char léger M41 Walker Bulldog fut nommé en hommage au général Walton Walker. Il était auparavant surnommé le petit bulldog, et après la mort de Walker dans un accident de jeep, il prit officiellement son nom, d’autant qu’il était lui-même surnommé bulldog pour son caractère énergique, notamment durant la guerre de Corée.
L’armée revint ensuite à la guerre de Sécession lorsqu’elle baptisa la plateforme aéroportée M551 Sheridan du nom du général Philip Sheridan.
Le Bradley : l’exception qui confirme la règle ?
Les chars restent les seuls véhicules terrestres américains à porter systématiquement des noms. La plupart des autres véhicules sont désignés par des numéros.
Cependant, le véhicule de combat M2 Bradley reçut le nom du général Omar Bradley, bien qu’il ne s’agisse pas d’un char. Les raisons exactes restent floues, mais il est probable que la mort du général Bradley en 1981 intervint au moment où le véhicule subissait une longue série de critiques techniques sur une période de dix-sept ans. Le nom aurait contribué à réduire la pression.
Enfin, le véhicule d’assaut M10 Booker, dont le programme fut ensuite annulé, fut une autre exception : il portait le nom de deux soldats qui n’étaient pas généraux. Ce choix aurait pu être délibéré, afin de convaincre les législateurs qu’il ne s’agissait pas réellement d’un char léger, les chars ayant généralement des noms de généraux.
