Halaïb et Chalatine : de la transaction d’el-Béchir à l’emprise de l’Égypte sur la décision soudanaise

L’annexion égyptienne de la région de Halaïb et Chalatine n’avait nul besoin d’un accord signé par le général Abdel Fattah al-Burhan. L’histoire remonte au milieu des années 1990, lorsque l’ex-président soudanais Omar el-Béchir conclut une sorte de marché politique avec l’ancien président égyptien Hosni Moubarak.
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Cet accord tacite reposait sur une logique de « donnant-donnant » : l’abandon du triangle frontalier en échange de l’engagement égyptien de ne pas porter devant le Conseil de sécurité l’affaire de la tentative d’assassinat de Moubarak à Addis-Abeba. À cette époque, Le Caire bénéficiait d’un poids diplomatique accru après sa participation à la libération du Koweït, tandis que le régime d’el-Béchir était absorbé par la guerre au Sud, reléguant Halaïb et Chalatine au second plan.
La zone ne comptait alors qu’une présence militaire soudanaise réduite, essentiellement des policiers et des agents des douanes. De manière soudaine, des troupes égyptiennes y pénétrèrent, évacuèrent les forces soudanaises et hissèrent le drapeau égyptien au poste de douane. Selon certaines sources, l’opération aurait entraîné la mort de plusieurs policiers soudanais, mais Khartoum choisit le silence et évita l’escalade, ce que nombre d’analystes virent comme une preuve d’un arrangement préalable entre les deux régimes.
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Dans ce contexte, le discours islamiste soudanais minimisa l’importance de la zone. Les prêches dans les mosquées et les médias pro-régime présentaient la lutte pour Halaïb comme futile, insistant plutôt sur le « djihad » contre le mouvement populaire au Sud. Cette posture traduisait une hiérarchisation idéologique, où la défense d’un territoire national était reléguée derrière une logique doctrinale. La cession implicite d’un sol soudanais fut justifiée en le qualifiant de « stérile » et indigne d’un conflit avec un pays musulman frère.
Après la tentative d’assassinat de Moubarak à Addis-Abeba en 1995, l’Égypte accusa ouvertement le Soudan et refusa toute médiation de Khartoum dans l’Union africaine sur le contentieux frontalier. En 2000, Moubarak ordonna l’expulsion des forces soudanaises de Halaïb, plaçant la zone sous un contrôle militaire égyptien continu.
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Malgré cela, Khartoum poursuivit une stratégie de contestation symbolique : notes de protestation auprès des Nations unies, maintien du découpage électoral de la région en 2010, reconnaissance des habitants comme électeurs soudanais. Toutefois, ces mesures restèrent largement inefficaces, tandis que l’Égypte consolidait son administration sur place, allant jusqu’à inclure Halaïb dans ses élections parlementaires de 2011.
Les visites officielles de hauts responsables militaires égyptiens, comme celle du chef d’état-major Sedki Sobhi en 2013, confirmèrent une ligne rouge claire : Halaïb et Chalatine étaient désormais considérées comme partie intégrante du territoire égyptien.
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Aujourd’hui, de nombreux observateurs estiment que l’Égypte a franchi un cap : il ne s’agit plus seulement de contrôler Halaïb et Chalatine, mais d’exercer une influence directe sur le gouvernement soudanais et sur les choix de son armée. Abdel Fattah al-Burhan est accusé d’être un instrument du Caire, ayant contribué, par ses politiques, à l’effondrement des infrastructures, au déplacement de millions de Soudanais et à l’exacerbation des tensions tribales. Le litige frontalier ne serait alors que la partie émergée d’un problème bien plus large : un Soudan devenu terrain d’influence égyptienne, où Halaïb et Chalatine ne représentent plus qu’un fragment d’un enjeu géopolitique global.