Haftar adopte une stratégie calculée pour s’imposer comme acteur clé en Libye

La décision du maréchal Khalifa Haftar d’expulser une délégation ministérielle européenne révèle des pressions exercées sur les puissances européennes afin qu’elles reconnaissent la légitimité de l’Est libyen.
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En écartant une délégation européenne qui venait d’arriver dans l’est de la Libye, le commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar, a cherché à envoyer un message clair : s’imposer comme un acteur incontournable du paysage politique libyen, malgré l’absence de reconnaissance internationale, selon plusieurs analystes.
Le 8 juillet, un commissaire de l’Union européenne, ainsi que les ministres des Affaires étrangères de la Grèce, de l’Italie et de Malte, se sont rendus en Libye pour discuter de la question de la migration irrégulière. Après un passage à Tripoli, ils ont poursuivi leur visite à Benghazi.
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Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est en proie à l’instabilité. Deux gouvernements rivaux s’affrontent pour le pouvoir : le gouvernement d’unité nationale à Tripoli, reconnu par l’ONU et dirigé par Abdelhamid Dbeibah, et un gouvernement parallèle à Benghazi, dirigé par Oussama Hammad et soutenu par Haftar.
À leur arrivée à l’aéroport de Benghazi, les membres de la délégation européenne ont été informés de leur expulsion immédiate par les autorités de l’Est. Le gouvernement de Hammad a publié un communiqué virulent, accusant la délégation de « violation flagrante des usages diplomatiques » et de « manque de respect envers la souveraineté nationale » pour ne pas avoir suivi les procédures d’entrée et de circulation des diplomates.
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Le communiqué précisait que les membres de la délégation étaient désormais considérés comme « persona non grata » et sommés de quitter le territoire libyen.
À Bruxelles, un responsable de l’UE a reconnu une « regrettable violation du protocole », imputée à un « malentendu majeur » concernant les interlocuteurs libyens prévus. La Commission européenne a également évoqué un « problème protocolaire » ayant entraîné l’annulation de la visite à Benghazi, deuxième ville du pays.
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Selon Tarek Megerisi, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, cette expulsion était « une manœuvre réfléchie ». Face à l’augmentation des flux migratoires de la Libye vers l’île grecque de Crète, Haftar chercherait à « exploiter la crise migratoire pour forcer une reconnaissance de facto de son gouvernement par les Européens » et à étendre ses relations au-delà de son rôle de chef militaire local.
Les diplomates doivent composer avec une situation libyenne complexe : les Européens soutiennent officiellement le gouvernement reconnu à Tripoli mais communiquent régulièrement avec l’armée de Haftar et ses fils.
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Le programme initial de la visite à Benghazi comprenait des rencontres avec des responsables militaires de l’est. Mais à leur arrivée, les Européens ont découvert la présence de personnes « non validées au préalable », selon un diplomate européen, justifiant le départ immédiat de la délégation.
Claudia Gazzini, analyste pour International Crisis Group, estime que l’incident n’était probablement pas prémédité, mais interroge sur la décision de laisser des ministres du gouvernement Hammad se présenter à l’aéroport, et sur l’absence de réaction de Haftar. Elle évoque aussi un possible différend bilatéral avec l’un des pays présents.
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Le chercheur Jalel Harchaoui pointe la Grèce comme principal visé. Le 6 juillet, son ministre des Affaires étrangères aurait exigé des concessions sur les migrations et les zones maritimes sans rien offrir en retour. Une rencontre avec Haftar n’aurait donné aucun résultat. Deux jours plus tard, un représentant grec revient avec une délégation européenne et prévoit de rencontrer les deux gouvernements libyens à égalité, ce que les autorités de Benghazi auraient considéré comme une offense.
Pour Harchaoui, cet épisode illustre la détermination de la famille Haftar à affirmer sa légitimité : « Qu’il s’agisse de migration ou d’énergie, la famille Haftar reste un acteur incontournable du fait de son contrôle sécuritaire sur la côte orientale. »
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Riche et puissante, la famille multiplie les contacts à l’international. En février, Emmanuel Macron a reçu Khalifa Haftar à Paris. En mai, il a rencontré Vladimir Poutine à Moscou. Son fils Saddam a effectué des visites aux États-Unis, en Turquie, en Italie et au Niger.
Même la Turquie, anciennement opposée à Haftar lors de son offensive contre Tripoli en 2020, cherche aujourd’hui à coopérer avec lui, notamment à travers des projets de construction. Ankara espère également obtenir l’aval de Haftar pour un accord de délimitation maritime en Méditerranée orientale signé avec Tripoli, mais contesté par Athènes.